10 septembre 2012

Parole à Tanger

     Et il se rebiffe. Tanger, c’est sa ville. Et moi, enivré des parfums de la médina, je parle. D’une noria aux rouages étrangers, les mots remontent en continu. Ils ne semblent pas m’appartenir plus que si je n’étais qu’une jetée déposée sur la mer, savourant, à peine conscient sous la chaleur, la fraîcheur des flots qui me frôlent. Un mur de pierre bâti aux commencements. Contenant, d’un mouvement d’épaule imperceptible, les vagues de syllabes trop curieuses. C’est qu’elles sont avides de mes inattentions coutumières, amoureuses de ces brèches qu’elles attendent pour enfin déborder. Alors elles pourront détourner sans souci les plus claires de mes idées, pour lesquelles elles semblent d’ailleurs n’avoir jamais eu qu’un intérêt passager.

Quelque chose de primordial pourtant me semble à portée. Alors j'empile soudain consonnes, voyelles, phrases, théories, contradictions ou vérités, plus sensible à l’énergie chaleureuse qui m’habite qu’au sens que porte ma voix qui s’aggrave à mesure que l’air me brûle. Mais les blocs de raison que je jette en son lit nuisent plus à mon débit que cette terrible canicule, dévoreuse de nos vitaux apaisements nocturnes.

Simplement continuer à distiller ces ondes concentriques, omnidirectionnelles, accordé à l’instant. Laisser les ruelles m’embrasser en douceur et jouer, étourdi de tourbillonner, confiant qu’à la fin toujours elles me bercent. Alors naîtra la mélodie. Celle qu’on perd en s’y accrochant. Celle qui devient parole, je crois. Celle qu’on espère comme la plus sûre des promesses de paix.

Soudain je chancelle, comme au réveil.

Il parle.

Et je souris. Comprends. La solitude, la violence, la blessure.

La plaie qui suinte à mon côté devant ma peine à échanger me broie de moins en moins les entrailles.

Il n’est pas plus important que j’inonde l’univers de reflets lumineux que je cède d’un cœur léger la parole à qui veut.

Il l’a repris, cette parole.

Je suis donc chez lui.

Heureux d’être enfin perdu, enfin étranger. D’être loin d’avoir tout dit. De ne jamais être capable de pouvoir tout dire. Heureux d’avoir l’occasion d’essayer de faire miens les mots d’un autre.

Apprendre me relie.

Savoir m’isole.

Je cicatrise.

Ravi de pouvoir encore un peu vraiment écouter.