21 décembre 2012

C'est le bouquet !

   Depuis toute petite, entre les hommes et moi, c’est compliqué. C’est douloureux, aussi, souvent. Ils imaginent, calculent, complotent, seuls ou à plusieurs, tout un tas de tactiques, pour m’inclure dans leurs jeux militaires. Ils réfléchissent, pensent réfléchir, à ma place. J’ai, tristement, vite compris qu’il me serait impossible de vivre sans eux. J’avais, je crois, autour des douze ans, lorsqu’à un de ceux qui sût le moins me déplaire, je livrais cette confidence. Je mis sur la table ce présent, saoule de confiance, mon autonomie déficiente.
L’information a dû filtrer.
Mais je sais qu’ils savent. La connaissance est une de mes armes favorites. Avec elle, j’ai toujours eu, plus ou moins, un ou deux coup d’avance. Je sais ce qu’ils attendent. Mais je suis un peu distraite. Et j’aime beaucoup trop le cinéma, les romans. Je ne suis pas une machine. On a tous besoin, de temps en temps, d’être un peu dilettante. Au travail, je reste vigilante. En amour, ça devrait être plus doux. Il faut que ça le soit. La frontière est pourtant claire.
Mais les hommes mélangent tout. Et s’inquiètent vite quand ils voient que je ne bois plus leur parole. J’aurais au moins réussi à garder le secret sur cette soif que j’ai appris récemment à juguler. Ce fut comme d’arrêter de fumer, de boire, de manger. Beaucoup de souffrances, d’efforts, de renoncement. Et un matin, le dégoût. L’étonnement. Je n’ai pas pu aimer ça ! Ce n’était pas moi...
Alors, ils s’endurcissent, peaufinent, fignolent, bricolent des machins, trucs, des bidules à immiscer dans nos vies. Le doute, le culot, mixés ensemble, après un bain-marie, on se le prend de plein fouet, n’importe quand, n’importe où. Négligemment posé, sur un coin de mon bureau.
Et ma vie, toute ma vie, tangue, prête à basculer.
Et c’est toujours in extremis, que je m’agrippe, me rattrape, par chance, à quelques rares certitudes.
Et à la colère.
Le con.
Ce coup ci, il a réussi à me faire livrer des fleurs...
Tout un bouquet.
Je le hais.
 

05 décembre 2012

Au train où le soleil se couche

Photo de Louise Imagine


   J’ai arrêté de lire le 28 novembre de l’année 2012. J’entamais à peine le premier chapitre d’un bouquin pris au hasard, en plein milieu d’une pile à lire qui menaçait de quitter la stratosphère. J’avais la voracité, le vertige et la nostalgie. Et toutes ces parcelles intimes, ces miettes d’âmes et bouts de soi que je récoltais entre les signes imprimés servaient de ciments aux briques primaires de ma biologie fondamentale.
Le soleil se couchait. Je ne saurais dire le nom de l’ouvrage, ni d’où il me venait, pas plus que le style, ni l’auteur. Était-ce un roman, une biographie, un recueil historique ? L’ai-je jamais su, d’ailleurs ? Je me rappelle par contre avec certitude du goût âcre et suintant de déjà vu. 
Alors, j’ai laissé mon regard glisser sur la pente d’une ligne taillée pour moi seul. Un bon livre ne se finit pas. Un bon livre, c’est celui qui contient la phrase, adressée a soi personnellement, qui nous fera décoller. Curieusement, un mauvais livre peut produire semblable effet.
   Ma vision a sauté, d’un coup, accoudoir, rebord et vitre, pour se retrouver dehors. L’extérieur. Ça, je ne l’avais jamais vu. Ou était-ce peut-être l’inverse ? Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agissait de voir, il s’agissait de neuf, il s’agissait de voir la nouveauté derrière l’habitude. Et les caractères que je parcourais depuis le démarrage du train ne formaient plus que du périmé, du déjà lu. Mes lectures passées, vues d’ici, formaient une seule et même histoire qui se répétait depuis toujours. Les personnages se mélangeaient, échangeaient entre eux, sans vergogne, rôles et costumes, les villes se construisaient, se détruisaient. On allait en oscillant, tantôt vers le pire, tantôt vers le meilleurs et ainsi de suite, dans un flux sinusoïdal presque parfait.

   Il me fallait maintenant le lâcher, ce bouquin. Mais quelque chose résistait. Mes mains s’agrippaient au paquet de feuilles collées. Une bouée inutile pour qui aspire aux profondeurs. Mais après tout, si cet objet desséché pouvait occuper mes mains et elles seules...
Je voyais. Je n’avais donc plus besoin d’elles. J’avais fini de bâtir ma cinquième tour aux neuf étages et enfin, celle-ci tenait bon, semblait plaire à l’architecte. Il était l’heure de partir.
   Alors autant donner un os à ronger, une pierre à poncer, au bâtisseur avide d’action qui cherchait encore une ultime distraction, une occupation. Offrir un hochet à l’enfant roi. Qu’il voit, lui aussi, en le secouant, les ruines de son royaume abandonné.
Je suis parti, le laissant finir ses derniers sanglots, du haut de son vieux trône érodé par milles vents lunaires, craquelant sous le gel des dernières nuits d’automne.
   Et commençais enfin à savourer le voyage. Étourdi par la beauté de cette nuit qui approchait doucement. En robe du soir, elle dansait sous ma fenêtre, ravie de renaître, encore une fois. Elle irradiait, depuis quelque recoin mystérieux de l’horizon, comme toujours, comme jamais. Chaque instant était nouveau. Chaque rayon de lumière touchait la nature d’une façon unique, inédite.
Et même si il n’y avait plus eu, pour l’éternité, rien de nouveau sous le soleil, à part mon regard enthousiaste, ça aurait déjà été amplement suffisant. Mais il y eu plus.
  Les nuages, qui naviguaient au loin dans les hauteurs, semblaient plus proches. Je ne compris qu’en me penchant. Nous avions quitté les rails. Le wagon glissait dans le vide en prenant de l’altitude. La traverse se remplissait de voyageurs cotonneux, d’oiseaux de haut vol. Un satellite, en retraite de son orbite géostationnaire, s’assit en face de moi en souriant. La terre avait repris la place qu’elle avait aux commencements, lointaine, inaccessible.
De mon côté, les choses étaient comme l'air, enfin limpides :
Je ne redescendrais plus jamais.

03 décembre 2012

Violence de bisous sur cœur d'artichaud

reprise de volé d'un post de Lulullabyonearth


« cool bisous »

On dira ce qu’on voudra, un petit texto savamment dosé, ça peut redonner, à une journée, une vie, tout l’éclat que le temps ordinaire se plaît à ternir. Et Carole a ce don. En deux mots, elle peut me retourner le cerveau, le faire revenir à feu doux, me déclencher de ces petits crépitements neuronaux qui ravissent toutes mes terminaisons nerveuses. Depuis, je regarde mon portable régulièrement pour savourer chaque signe de son message :

« cool bisous »

Ceux qui me connaissent s’en étonnent d’ailleurs. Je n’ai jamais caché mon penchant pour le texte charnu, la phrase toute en rondeurs s’étirant sur plusieurs lignes. J’en ai fait des tonnes, à glorifier la faconde pendant des heures, devant ceux qui ont le malheur de lancer le sujet en ma présence, sur la nécessité de l’abondance. Car elle seule peut nourrir convenablement une âme affamée. Il le faut ce poids, pour creuser les profondeurs idoines, seules garantes de la survie des racines, vitales autant que fragiles, de nos joies les plus chères. Mais Carole, c’est l’exception. En deux mots, elle s'immisce en mes abysses pour les réchauffer de sa morsure chaleureuse.

« cool bisous »

Et mon cœur bondi par dessus les égouts de mes peines quotidiennes, rebondi au delà des montagnes de douleurs ancestrales, traversant, comme d’autres les flaques, les océans de larmes d’une humanité agonisante. On est tellement loin des anorexiques “ok à+” ou autres “nickel, ça roule”. Des os sans chair transperçant la fine peau censée nous protéger. Ici, tout est à voir, à sentir. C’est des lèvres douces et moelleuses, prodiguant, sans la moindre économie de tendresse, des tonnes de baisers sur mes plaies apaisées.

Il y a tout quand elle me l’écrit, ce délicieux :

« cool bisous »

Et Carole, insensée, joue avec le feu de ses bises plurielles. J’avais fini par l’encaisser, son départ vers un appart’ mieux fourni. Des tablettes de chocolat plein les placards, plein le nombril de son Big Jim de moleskine. D’accord que nous, c’était parti pour le virtuel. On a gardé nos jeux en ligne. Et c’est bien mieux que rien. Mais j’ai beau prétendre n’avoir aucune attente, quand par exemple comme ici en lui envoyant le résultat de ma dernière quête, ma respiration s’alourdi à la réception de son :

« cool bisous »

Parce qu’elle aurait pu ne rien répondre. C’était juste une info qui n’avait pour but que de valider le walkthrough qu’elle m’avait communiqué. Je connais son hyperactivité, le peu de temps qu’elle a. Alors, je me grave, pour le repasser en boucle, ce qui a forcément dû se passer. Elle quitte des yeux son interlocuteur, lâche son occupation et fait une pause où il n’est plus question que de moi. Alors, la technique se mélange à la tendresse, et je reçois :

« cool bisous »

C’est simple, minuscule. C’est assez discret pour passer inaperçu. La plupart n’y verrons que superficialité, légèreté proche de l’inattention. Qui se pique encore aux aiguilles perdues des bottes de foin ? On veut des romans étalés sur 300 pages, des demis douzaines d’années de saisons télévisée. Il nous faut des orages pour que les gouttes, démultipliées, enfin nous touchent. L’amour, alors, est une averse. Une pluie, qui ne s’évapore pas, qui ne s’arrête pas, qui inonde mais ne noie pas.

Mais maintenant, je peux aimer d’une autre façon, sans que l’eau ne me monte jusqu’aux coudes.

Qu’importe, finalement, que tu le saches ou pas ?

Tant que de temps en temps, tu y penses et m’envoies :

« cool bisous »