27 octobre 2015

l'Autre Côté

atelier irl Mérignac
    En 6ème, ma prof principale était si jolie, si gentille, que j’aurais appris n’importe quelle leçon sur le bout de ses doigts, rien que pour recueillir un de ses tendres sourires complices ; jusqu'à ce lundi matin, maudit entre tous, 13ème jour du mois d’octobre 1981, il est 8 heures passées de 7 minutes, elle me demande le cahier de classe, que je n'ai pas...

Moi, intérieurement : Non, mais je rêve, là, on prévient avant... Qui c'est qui va passer pour un irresponsable maintenant ? Sérieux, ce monde est donc insensé ?

Moi, extérieurement : "Heu...?"

Elle : "C'était ton tour, point final ; tu te bouges et tu me le ramènes illico !"

Je sors donc, illico, en errant quelques secondes, une fois la lourde porte claquée, le cœur écrasé, sonné devant l’injustice de ces longs couloirs vides, seulement peuplés des fantômes de ma jeunesse insouciante, à jamais défunte.

Cette erreur judiciaire m'expédie, clairement, brutalement, irrémédiablement, de l’Autre Côté, hors des clous, par delà l'infranchissable ligne jaune, pour mon premier délit scolaire.

J'ai oublié le cahier de classe, j'ai mis en rogne ma prof préférée, ma vie est foutue...

Aussi, quand je réussi, chancelant, à regagner ma salle de classe (avec l'Objet en main, cette fois) ma nouvelle vie est déjà planifiée ; ce sera, en gros, une vie de paria.

Je ne pense pas faire de prison mais il est trop tard, c'est sûr ; les études, pour moi, elles s'arrêtent aujourd'hui !

25 octobre 2015

Bart se barre

photo Tim Richmond
Le gros s'est barré, avec le reste des bières. Cette ville pue, c'est tout ce qu'il a trouvé à dire comme mot d'adieu. Et il m'a plantée là, avec mon fond de canette et ma petite robe blanche. Tant que le soleil cogne, ça va bien mais qu'est-ce que je vais me geler ce soir. Dés fois, il ne pense qu'à sa gueule. Et ça arrive souvent, des fois. Enfin, ça me regarde plus, me revoilà libre. Ça me rappelle avant, quand je le connaissais pas encore. J'étais pas bien vieille mais j'en faisais déjà qu'à ma tête, d'après ce qu'on dit. Je suis évidement pas d'accord, les gens sont des cons centrés sur eux-mêmes. Alors, forcément, ça pourra jamais coller. On n'a pas le même centre. Pourquoi je me casserais le cul à les écouter. Dans le mur, ils vont tous dans le mur. Et ça sera sans moi.
Bon, c'est vrai que cette ville n'est pas terrible. Avec tous ces magasins qui ferment. Y'a presque plus que des vitrines vides où ils entreposent leurs plantes vertes. Des rangées d'étagères avec quelques pots de fleurs à moitié abandonnés qui tentent d'occuper l'espace. Pour se donner bonne conscience dans tout ce gâchis pathétique.
Moi, ça me donne soif, mais j'économise. Je suis un peu conne parce qu'avec la taille des voitures garées dans le coin, c'est sûr que je trouverais bien un type pour m'offrir un verre. Plus ils mettent de thunes dans leurs caisses, moins ils me résistent, c'est des mathématiques, il disait, Bart.
Je me verrais bien habiter dans une de ces boutiques. C'est quand je lui racontais ça, et de quelle manière je pourrais en arranger l'intérieur, qu'il a commencé à péter un câble. On dirait qu'il refuse de comprendre que j'ai besoin de me poser. Lui, ça fait longtemps qu'il ne rêve plus. Il courre, à fond, sans trop regarder où il va, avec cette peur, au moindre arrêt, de ne jamais pouvoir repartir. Ou l'espoir qu'un mur mette définitivement fin à sa course folle ? J'ai bien peur que ce soit ça.
Merde, mais qu'est-ce qu'on foutait ensemble ? C'est quoi le problème, de se bâtir un petit chez soi ? J'aime bien savoir que, quoiqu'il arrive dans ces journées débiles,  le soir venu, on pourra toujours se laisser tomber sans retenue dans son bon vieux fauteuil préféré.
Lui, il aime pas. Enfin, il refuse d'aimer. Il dit que c'est un mélange d'illusion et de déni, que le seul repos, ça sera ad patres. Mais qu'est-ce qu'il en sait, ce petit malin de trou de cul de vieux renard ? Si ça se trouve, y'a pas à se prendre la tête, ad patres, c'est là où on se pose. Moi, je suis bien, rien m'importe, tant qu'on me hurle pas dans les oreilles.
Et oui, je passe mon temps à faire des plans, j'adore imaginer ce que ça donnerait, autour de moi, si je pouvais poser ma patte partout où je peux poser un œil. Tu voudrais pas, toi, au soleil couchant, faire quelques pas en arrière pour contempler ton travail accompli le jour durant ?
Bart ?
Tu es déjà trop loin.
Nos discu-putes me manquent.
Alors, je te parle comme si t'étais déjà mort. Alors qu'il nous en reste, un peu, du temps. Tu veux pas revenir ? Moi, je m'en fous de rien réaliser ; l'important, c'est d'essayer. On dit que l'Homme est un bâtisseur mais c'est juste parce que certain, personne ne les arrête. L'Homme, c'est surtout un baratineur, un causeur, un conteur, un rêveur. Et pour ça, il faut avoir quelqu'un à qui parler.
Et avec toi, c'était parfait.

20 octobre 2015

Hank & Linda






Je ne vois plus les années passer,
Happées qu'elles sont par une invisible gravité
Eux s'en foutaient, divinement !
Depuis, elles erre seule dans son musée
Payant de ses larmes quotidiennes
Le prix exorbitant de ce qu'on appelle ici, l'amour.

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 photo : Erik Johansson - clic et clic

 pour l'atelier Mil et Une

Le mot de la semaine 41 était : volonté


   J'ai longtemps cherché la manière idéale pour rester irrémédiablement jeune. Une prise de conscience, très tôt, (que j'évalue à quelques milliers d'années, dans un soucis de précision et de lisibilité ) de cette sordide précarité qui constitue l'essentiel de notre condition, m'a finalement guidé vers une lumineuse solution ; toujours s'appuyer sur une inébranlable volonté !

   Et depuis, rien n'y fait, je trace ma route, quoiqu'il m'en coûte.
Par tout temps, on peut me voir, drapé de certitudes, déroulant, sur toutes les terres vierges que je croise, mon infini rouleau de décisions et autres points de vue personnels.
J'ai fusionné, il y a de ça quelques années, propulsé par une adéquate révolution industrielle, avec des monceaux d'or et de bitume. Je serait désormais un avec celle que l'on n'ose nommer, mais qui le mérite amplement, soit, l'Immortelle Volonté !
Mais vous pouvez m'appeler Didier, le défricheur. J'ai su rester simple. Et bien, réjoussiez-vous, je reviens vers notre chère vieille Europe, toujours pétaradant de santé, après un long périple à travers le globe, les âges, et pratiquement aussi léger qu'aux premiers jours, pour parcourir quelques friches persistantes, toujours en basse campagne, qui soupirent dans l'attente des sillons et autres coups de boutoir, que l'inébranlable pouvoir de ma jeunesse éternelle n'a de cesse de leur donner.
J'entends, au loin, leur plainte :
- Didier, planifie nous pour l'éternité. Facilite les flux immémoriaux des pensées de tes semblables.
Comment, et pourquoi, résisterais-je à cet appel vibrant ? D'autant plus que je n'ai un peu que ça à faire. Et puis aussi, pour être sincère, j'ai tellement peur de m'ennuyer si je la perdais, cette splendide faculté, forgée par mes mains du néant. J'avoue que cette volonté est un outil incroyablement puissant et attachant, et force m'est de constater que j'en suis légèrement devenu dépendant. La sincère jouissance, quand je m'accorde une micro-pause, en contemplant derrière moi tout ce travail accompli, l'aplatissement de toutes difficultés que je mets gratuitement sous les pieds de l'humanité, non, c'est chouette, je suis pas le dernier des branleurs, ah ça non, et oui, je le redis, j'aurais du mal à m'en passer.
Mais cette force de caractère, qui fait que je suis ce que je suis, et sans qui donc je ne serais pas celui que je veux être, n'a jamais complètement fait taire une autre voix.
Au début, je la prenais pour un acouphène. Un murmure quasiment inaudible, un souffle inarticulé qui osait tenter me distraire de ma tâche. Il suffisait alors que je presse le pas pour la faire taire, que je descende un pichet de liqueur, que je distribue quelques orgasme à quelques passants et passantes en passant.
Et puis, de siècles en siècles, d'heures en heures, le son à gonflé, bataillant avec le bruit de mes machines intérieures que je poussais à pleine turbine, au paroxysme, dans leurs retranchement.
Aujourd'hui, c'est arrivé, elle me parle. Elle me dit :
Je suis la croisée des chemins. Ma voix, c'est la voix de la liberté. J'ai utilisé chaque seconde de ta vie pour me présenter devant toi. Et l'heure est venue, tu es enfin au sommet, devant toi, l'abîme. Mais te reste encore un instant pour te retourner, une dernière fois, sur ton voyage ; car je suis pas chiche, tiens te le pour dit.
Regarde, chaque route que tu as tracée dans la nuit, oubliant d'où tu venait, sachant très moyennement vers quel horizon tu te dirigeais, regarde ce qu'elle a changé pour tes frères. Ils te suivaient, gambadants pieds nus, un air de musique éternellement nouvelle s'échappait de leurs gorges, pour tout dire, ils glissaient sur le tapis que tu leur tissais, ils vivaient à genou, toujours derrière toi. Car ta route, qui n'est que ta route, elle ne s'efface pas derrière toi. Tu as scarifié tout l'univers et depuis, le monde entier navigue sur tes canaux de sang. Ce que tu as fait, tu ne l'a fait que pour toi, ce qui, à la limite, pourrait être tout à fait concevable, si cela n'avait amputer les milliards d'autres volontés sur lesquelles tu as pris le pas.
Tu dis que concevoir, bâtir, créer, avancer, c'est l'aboutissement de ta volonté d'être libre.
Mais tu es moins libre que le plus banal des rochers sur lequel tu t'assoies un moment, entre deux bouts de tes tâches malignes. Tu n'as rien validé, oubliant que l'air qu'inspirent tes poumons, c'est l'air le plus ancien qui se puisse, vieux comme le monde ; toi qui ne voulais que du neuf, ta vie se nourri de la mort, recyclée.
La liberté était déjà là. Mais la peur t'a fait tracer des chemins que tu as tous nommés liberté.
Alors qu'elle, elle n'a pas de nom, c'était juste ta vie, une parcelle de la Vie.
Tu n'avais qu'à la chérir, elle n'attendais rien d'autre de toi pour te l'offrir, cette éternité.
Et ne me dis pas que le temps t'a manqué. Le temps, sérieusement... Tu a bien su l'utiliser, le mêlant au salpêtre, au souffre, au sable et à la poussière.
Tout ça pour le durcir et le passer à bâtir tes empires.