25 octobre 2015

Bart se barre

photo Tim Richmond
Le gros s'est barré, avec le reste des bières. Cette ville pue, c'est tout ce qu'il a trouvé à dire comme mot d'adieu. Et il m'a plantée là, avec mon fond de canette et ma petite robe blanche. Tant que le soleil cogne, ça va bien mais qu'est-ce que je vais me geler ce soir. Dés fois, il ne pense qu'à sa gueule. Et ça arrive souvent, des fois. Enfin, ça me regarde plus, me revoilà libre. Ça me rappelle avant, quand je le connaissais pas encore. J'étais pas bien vieille mais j'en faisais déjà qu'à ma tête, d'après ce qu'on dit. Je suis évidement pas d'accord, les gens sont des cons centrés sur eux-mêmes. Alors, forcément, ça pourra jamais coller. On n'a pas le même centre. Pourquoi je me casserais le cul à les écouter. Dans le mur, ils vont tous dans le mur. Et ça sera sans moi.
Bon, c'est vrai que cette ville n'est pas terrible. Avec tous ces magasins qui ferment. Y'a presque plus que des vitrines vides où ils entreposent leurs plantes vertes. Des rangées d'étagères avec quelques pots de fleurs à moitié abandonnés qui tentent d'occuper l'espace. Pour se donner bonne conscience dans tout ce gâchis pathétique.
Moi, ça me donne soif, mais j'économise. Je suis un peu conne parce qu'avec la taille des voitures garées dans le coin, c'est sûr que je trouverais bien un type pour m'offrir un verre. Plus ils mettent de thunes dans leurs caisses, moins ils me résistent, c'est des mathématiques, il disait, Bart.
Je me verrais bien habiter dans une de ces boutiques. C'est quand je lui racontais ça, et de quelle manière je pourrais en arranger l'intérieur, qu'il a commencé à péter un câble. On dirait qu'il refuse de comprendre que j'ai besoin de me poser. Lui, ça fait longtemps qu'il ne rêve plus. Il courre, à fond, sans trop regarder où il va, avec cette peur, au moindre arrêt, de ne jamais pouvoir repartir. Ou l'espoir qu'un mur mette définitivement fin à sa course folle ? J'ai bien peur que ce soit ça.
Merde, mais qu'est-ce qu'on foutait ensemble ? C'est quoi le problème, de se bâtir un petit chez soi ? J'aime bien savoir que, quoiqu'il arrive dans ces journées débiles,  le soir venu, on pourra toujours se laisser tomber sans retenue dans son bon vieux fauteuil préféré.
Lui, il aime pas. Enfin, il refuse d'aimer. Il dit que c'est un mélange d'illusion et de déni, que le seul repos, ça sera ad patres. Mais qu'est-ce qu'il en sait, ce petit malin de trou de cul de vieux renard ? Si ça se trouve, y'a pas à se prendre la tête, ad patres, c'est là où on se pose. Moi, je suis bien, rien m'importe, tant qu'on me hurle pas dans les oreilles.
Et oui, je passe mon temps à faire des plans, j'adore imaginer ce que ça donnerait, autour de moi, si je pouvais poser ma patte partout où je peux poser un œil. Tu voudrais pas, toi, au soleil couchant, faire quelques pas en arrière pour contempler ton travail accompli le jour durant ?
Bart ?
Tu es déjà trop loin.
Nos discu-putes me manquent.
Alors, je te parle comme si t'étais déjà mort. Alors qu'il nous en reste, un peu, du temps. Tu veux pas revenir ? Moi, je m'en fous de rien réaliser ; l'important, c'est d'essayer. On dit que l'Homme est un bâtisseur mais c'est juste parce que certain, personne ne les arrête. L'Homme, c'est surtout un baratineur, un causeur, un conteur, un rêveur. Et pour ça, il faut avoir quelqu'un à qui parler.
Et avec toi, c'était parfait.

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