Réfugié en Transit
__________________________________sur plage de granit
11 octobre 2022
Guerre(s)
À toutes nos guerres,
Et leurs haines satellites,
Étincelles mortifères d'un conflit primordial.
Un enfant contre sa mère.
La liberté contre les lois, quelles qu'elles soient ;
Des livres, des ancêtres ou de l'amour ?
Avec la vitesse comme seule arme
Pour s'échapper de l'attraction
De tout horizons noirs
Affamés de nos lumières.
Alors on se bat.
Et chaque coup que l'on porte
Nous atteint dans nos chairs
Un peu plus en retour.
C'est dit-on, inévitable sacrifice .
Triste échec devant la cible,
Quand la mère historique confondue
Arrachée du brouillard
D'une mère intérieure
Je suis revenu vers ma mère pour lui payer son tribut,
J'ai souris lors de son agonie, pleurer à sa mort…
Maintenant je ne sais plus. Je ne sais vraiment plus.
Et c'est très bien ainsi ;
Elle peut enfin poursuivre sa route,
Personne pour lui dire où aller, quoi penser.
Le vent de la vie s'éteindrait
Entre nos doigts verrouillées.
Depuis je marche les paumes ouvertes, sait-on jamais…
Pas vraiment prêt de quitter
Cette Terre épuisée
Par des siècles de succion
Seule, condamnée à errer en désert désolant
Avec des cris, des feux dressés
Toujours contre la Mère
Par l'humain nouveau né
Arrivé en hurlant
12 novembre 2021
Laïka - 2ème jour
Mais il n'y a aucune place pour ce genre d'activité dans mon planning de gamer. Chaque temps libre est transformé en temps de connexion. Je transforme le vide en plaisir. Et il est grand temps de lancer une session. Je ferme soigneusement la porte, vérifie l'état du mug thermos, qui restera intouché au final, descend les volets qui ne sont jamais assez hermétiques quand vient le matin, lumières tamisées et c'est parti. Mon petit rituel de mise en route est toujours le même. Un rituel quoi !
Et me voilà dans le jeu. AG n'est pas encore connecté, il va m'entendre. Enfin, en douceur quand même ; ceux qui ne ménagent pas leurs partenaires se retrouvent vites seuls et ici, ça signifie la mort à court terme. Donc, AG, AlphaGamer, va seulement se prendre une petite répartie humoristique. J'ai trop besoin de lui. Il est complètement mégalo ce qui est un atout sur ces terres d'opportunités. Et le gars est bosseur. Enfin, autant bosseur en ligne qu'il est désocialisé dans la vie, va comprendre ? Ce qui m'arrange bien car, résidant sur Montréal, nous aurions bien du mal à nous capter, à cause du décalage horaire, s'il avait comme moi des heures de bureau à effectuer.
En son absence, je décide de partir en exploration. Ce qui n'est pas très prudent mais c'est comme ça qu'arrivent les aventures les plus excitantes. Pour pallier à ma légère inconscience optimiste, je me prépare le plus efficacement possible. Stock d'eau et de nourriture, munitions abondantes, armure et protections fraîchement réparées et une monture solide pour la route. Si un fiasco arrive, je n'aurais rien à me reprocher. Ce jeu est reconnu pour placer le joueur en situation de stress continu. On le sait tous. Et on adore ça. Lorsque tout va bien, il n'y a qu'une certitude à avoir : ça ne va pas durer. Et lorsqu'un problème arrive, c'est l'inverse, toutes les probabilités sont réunies pour que ça aille vite en s'aggravant. Vous vous attardez quelques secondes pour souffler, car il faut aussi gérer l'épuisement de notre personnage ainsi que de sa monture, et une horde hyènes débarquent pour nous entraîner vers un T-Rex de trop haut niveau. Chaque action déclenche une chaîne de catastrophes. Et la seule chose de sûre, c'est qu'elles seront imprévisibles.
Heureusement, nous avons la possibilité de prendre le dessus, changer la donne. Et le drame se transforme en occasion de récolte, en rétribution miraculeuse. Actuellement, je vole à quelque 250 mètres au-dessus de la ligne de crête d'une profonde falaise. Je surveille de prêt la jauge d'énergie de mon volatile. Pourtant, je sais très bien comment ça va finir ; l'oiseau épuisé, maintenu trop longtemps en l'air, va plonger, sourd à mes commandes, au fond du corridor de pierres où doivent m'attendre un ou deux prédateurs affamés. C'est couru d'avance. La connaissance n'est rien si on évite soigneusement de s'en servir. Comme un bien immobilier vide de tout occupant, une phrase lumineuse qui ne quitte jamais la page du livre où elle dort, j'ai beau connaître la mécanique du jeu, je vais tout de même plonger. Par distraction, curiosité des limites, fatigue, vaine révolte, stupide sentiment de toute puissance, il est tant d'occasions de chutes que c'est plutôt étonnant de n'être pas constamment en galère !
Ce qui fait qu'avec mes 10% de réserve, je suis royal. Je profite du jour qui finit en jetant ses derniers rayons bienfaisant à travers la végétation clairsemée, par-dessus les dunes de sable. Et je refuse de croire que le danger est un problème. Il me semble alors clair que je passe mon temps à faire bien plus que de simplement l'accepter ; je l'appelle. Comme s'il avait besoin de ma validation pour me tomber sur le dos ? Mais j'aime ce sentiment de maîtrise, d'anticipation. Je crée la difficulté avant même que l'intelligence artificielle n'ai commencé à programmer sa propre routine du chaos. Il suffisait d'y penser. J'ai confiance en mes facultés de donner la réponse adaptée, confiance dans le hasard qui saura glisser une faille dans la logique de ma perte. Je suis maintenant à 5%. L'évidence devrait me sauter aux yeux. Mais un vent favorable ne pourrait-il pas jouer en ma faveur ? Qu'en sait-on du vent ? Il y a aussi le poids de mes ressources qui allège mon équipage à mesure que je les consomme. Je dois pouvoir durer un peu plus longtemps ; ça me semble évident sur le moment. Et j'en oublie que tomber dans un gouffre, de nuit en plus, ça va fortement réduire mes chances de survie. Un peu plus en avant, un promontoire plat ferait un abri parfait pour attendre le retour du jour, vérifier la sûreté de l'environnement. J'ai un objectif, la volonté d'enfin me poser. C'est généralement là que viennent les soucis. 3%, pourquoi renoncer si près du but ? Une impatience qui va me coûter cher. Car la jauge, que je quitte un instant des yeux pour vérifier ma trajectoire, en profite pour se vider d'un coup, complètement, définitivement. Je m'en rend compte car l'horizon remonte, sans se soucier de mes tentatives pour redresser l'oiseau sensé me porter. Toutes les commandes deviennent inopérantes. Je deviens simple spectateur de ma chute, de mon lent vol plané vers le sol plongé dans l'obscurité. De toute façon, la trajectoire est elle aussi imprévisible. Les cercles erratiques de mon véhicule éreinté ne donnent aucun indice concret quant à l'endroit précis de l'atterrissage. Mais je sais qu'il sera problématique, l'habitude m'ayant montré qu'entre un terrain dégagé ou un groupe de rochers rendant toute fuite impossible, le choix de la bête sera vite fait ! Pas dans la gueule du loup, c'est la seule réflexion qui tourne en boucle dans ma tête devenue fébrile. Mais, en tendant bien l'oreille, j'entends une autre voix.
– Alors là, bravo ! Tu ne pourras pas dire que tu ne l'as pas cherché ! Humanus Crétinus !
J'ai failli enlever le casque de surprise. Comme si le son venait de quelqu'un derrière moi ? La voix était si proche que j'ai même envisagé l'avoir moi-même formulée. Ce qui ne me ressemble absolument pas, ni dans l'autocritique, ni dans la façon de la formuler. Aucun autre joueur n'est actuellement présent. Ce ne peut pas non plus être une créature générée par le jeu. Ça n'aurait pas de sens, ça ne s'est jamais vu…
Comme prévu, je tombe sur un tas de rocher où je reste coincé, entre eux d'un côté et le corps inerte de mon volatile. Il va falloir quelques secondes avant qu'il ne se remette en mouvement. Et quelques secondes, c'est largement suffisant pour m'envoyer des bestioles désagréables. Comme celle que j'entends grogner dans le noir, par exemple.
– Mais bouge !
J'ai beau taper et insulter ma monture, elle a l'air de bien s'en taper… Jusqu'à ce que l'indication musicale d'une attaque imminente ne retentisse. Chaque attaque est annoncée par une superbe et angoissante musique d'orchestre apocalyptique. Ajouté aux cris désespérés de l'oiseau, le stress grimpe en flèche. Mais l'oiseau retrouve soudain une motivation suicidaire et se jette sur l'assaillant. Je peux enfin bouger. Mais je vois mal dans l'obscurité. Malgré ma torche allumée, il est fort probable qu'au lieu de sauver ma monture, je ne fasse qu’accélérer sa défaite en lui tirant dessus. Il faut que je pense, dès que j'en aurais fini avec cette bataille, à baisser le volume des ambiances sonores. Cette musique a le don de singulièrement entamer mes facultés de réflexion. Du très beau travail de composition. Je courre dans tous les sens, indécis, presque figé, incapable de choisir l'arme adéquate, la stratégie possible. La fuite n'est bien sûr pas une option. Il faut absolument que je sauve l'oiseau. Me retrouver piéton dans ce désert hostile, pas question !
Mais soudain sur l'écran, en lettres rouges, implacables, s'affiche l'évidence : "Votre ptérodactyle niveau 50 a été tué par un T-Rex niveau 150" Je suis dans la merde, là, c'est sûr. D'autant que la musique semble elle aussi en avoir après moi, en s'attaquant à mon jugement par une saturation de mes tympans. Je reconnais la silhouette du prédateur. Et sa proximité avec mon personnage n'annonce rien d'autre que ma mort. Mais cette fois-ci, il n'y a plus rien de vivant entre le canon de mon fusil à pompe et le prédateur. Je tire autant que je peux, pas mal à l'aveugle mais ça touche. L'envie de vengeance me fait presser la détente comme un forcené. Tu vas payer, bâtard !
Je suis pourtant clairement en grosses difficultés. Un miracle, c'est toujours possible, dans les jeux.
– Je sens que tu aurais bien besoin d'un coup de main. Au moins pour changer l'orchestration de la bande son !
La même voix que tout à l'heure. Comment peut-on avoir envie de causer, de faire de l'humour, dans une situation pareille ?
– Mais défonce-le ce T-Rex, au lieu de faire des phrases !
– Je vois que la politesse n'est pas de mise.
Ma jauge de vie est ridiculement basse. Au prochain coup de canine, j'en suis bon pour repartir de mon dernier campement qui est… Loin ! Si seulement cette entité pouvait m'aider au lieu de la ramener. Ma vision est maintenant réduite à un minuscule cercle entouré de rouge sang. Ce qui ne veut dire qu'une chose, mon sursis va passer en solde débiteur. Mais dans le flou, je distingue le monstre ; il se détourne de mon corps agonisant pour se concentrer sur un autre assaillant. Je vois mal mais on dirait un loup. Plus grand qu'un loup. Quel est cet animal ? Quel qu'il soit, s'il change l'issue du combat, je lui devrais pas mal de temps perdu à venir récupérer mon équipement ici. J'en profite pour tirer ma dernière cartouche dans le dos du carnivore. Sans le moindre scrupule !
04 novembre 2021
Laïka - 1er jour
Je n'ai aucune idée précise de l'heure qu'il est. Mais quand mon mal de crâne fait des high-scores sur l'échelle du gâchis, d'expérience je sais qu'il doit être très tard. Ou très tôt… Je relève un écouteur, la maison est tout à fait silencieuse. Parfois, au sortir d'une partie bien trop longue, j'entendais les pas de ma femme dans la cuisine. Mais elle ne passe plus par mon bureau lorsqu'elle se lève. Ma dernière réaction l'a terrorisée. C'était dur. Je suis dur. Surtout si mon équipe est en train de subir le raid d'une team concurrente. Et cette fois-là, nous n'étions pas prêts du tout . Nos protections en cours de fabrication, peu de membres connectés. Je me coltine de ces bras cassés… Certains ne comprennent pas à quel point c'est sérieux, de jouer en ligne, surtout en joueur contre joueur. Certains y renoncent, trop de pression et finissent seuls, à jouer des parties insipides contre l'ordinateur.
J'ai commencé à jouer seul. Et ce ne fut pas une partie de plaisir de rejoindre un serveur public. Fini, le confort de retrouver sa progression identique à celle quittée la veille. La guerre quoi. Mais l'émotion produite est tellement plus forte. Quelle perte de temps, ces parties solitaire contre une intelligence très artificielle. Dorénavant mes ennemis sont réels. Et la douleur de mes attaques l'est tout autant. Je le sais, je ressens la même chose devant les leurs.
Voilà ma vie de joueur. Avec femme et enfant, j'arrive à consacrer un minimum de 5 heures de jeu par jour. Un exploit qui me rend assez fier. Et au moins, je ne traîne pas dehors, comme dit Sophie. Par contre, la violence dont j'ai fait preuve lorsqu'elle m'a surpris, en plein partie à 7 heure du matin, je crois qu'elle va être longue à me faire pardonner. Les mots sont sortis tout seuls, elle devrait comprendre qu'il n'y avait rien de personnel. La machine humaine, quoi. Je lui ai bien proposé de jouer avec moi pour comprendre. Mais, d'après elle, il faut bien que quelqu'un s'occupe de notre fille, des tâches ménagères. J'ai bien tenté de mettre dans la balance mes grosses journées de taf, que j'avais bien droit, après cette occupation débile, de me changer les idées, peine perdue.
Maintenant, je vois bien qu'elle s'éloigne. Elle passe devant ma porte sans l'ouvrir. Ce qui n'est pas plus mal pour mes performances. Je joue beaucoup mieux sans distraction. Avec mes coéquipiers, nos échanges s'en tiennent à l'essentiel, au pratique. Quelle légèreté, de ne pas avoir à chercher le pourquoi du comment, dans des réactions humaines tellement imprécises et volatiles. Ici, notre but est simple, il s'agit de gagner la partie, rien d'autre ne compte. Nos valeurs ne sont définies que par l'influence qu'elles ont sur le score final. S'il faut taper, je tape. S'il faut courir, je courre. Je n'ai pas d'énergie à consacrer au superflux. Mais c'est impossible d'expliquer ça à quelqu'un qui ne fait pas l'effort d'essayer. Alors oui, il m'arrive de hausser le ton. Même si je sais qu'après, j'entendrai sûrement ma fille demander :
– Pourquoi il crie, Papa ?
– C'est sa façon à lui de jouer.
Sophie exagère. Ça ne m'arrive pas tant que ça. Je suis un joueur très apprécié. Sauf par les joueurs dilettantes, évidemment. Je donne ma parole à mes alliés et mets tout en œuvre pour leur venir en aide si besoin. Et j'attends d'eux le même comportement. Mais ceux qui essayent de me soudoyer en seront pour leurs frais. Ceux qui me donnent de l'équipement pour me rallier à leur équipe, c'est mort. Je garde tout et disparais ! Je ne suis pas à vendre, ça devrait être clair. Je fais bien assez de compromis au travail et à la maison. Dans le jeu, il n'y a qu'une loi, la mienne. Pas vu, pas pris.
Finalement, au-delà de la victoire, l'important pour moi est de pouvoir rester le plus longtemps possible dans l'univers que me propose le jeu. Les graphismes sont magnifiques, les simulations à couper le souffle. Ces mondes sont devenus ma vraie patrie. Pour eux, je sais me battre. Je suis sans pitié. Car y survivre est un art compliqué, ou l'erreur peut être définitive. Et alors, il faudra tout recommencer depuis le début. Lorsqu'on vit avec la conscience aiguë de la possibilité de tout perdre sur la moindre mauvaise petite décision, les choses deviennent vraiment prenantes. Pas comme dans cette vie molle ou tout est rattrapable. On va faire garder le bout de chou pour s'offrir une bonne soirée resto et ma dernière colère sera de l'histoire ancienne.
– Faut pas être rancunière, chérie. C'est à toi que tu fais du mal en premier.
Oui, j'abuse. Mais c'est le jeu !
Pour Sophie, le manque de sommeil est en train de modifier ma personnalité. Ça va… J'estime que n'ayant pas passé le cap des 30 ans, je peux tout à fait me permettre de puiser dans mes ressources. Je récupère vite. C'est un entrainement qu'elle ne comprend pas non plus. Je gère, je connais mes limites. Voir la lumière en bas du volet roulant, par exemple, j'avoue que ça me mine un peu, surtout si je n'avais prévu qu'une petite partie de 4 heures et que je suis bien obligé de constater qu'elle en a duré 8… Mais c'est rare. Et puis, ça fait de bonnes anecdotes à raconter devant la machine à café. Les mecs du boulot ont vraiment des vies de merde. Il ne se passe rien dans leurs journées toutes identiques. Moi, je bâtis des armées, des citadelles plus ou moins imprenables, je traverse des forêts pleines de créatures dangereuses, découvre des univers gigantesques. Eux, ils font quoi ? De la merde au taf, de la télé au foyer. J'ai beau leur dire qu'ils ont de belles grosses vies de gros loser, ils me regardent incrédules. Et refusent mes invitations à jouer. Du coup, j'ai envie de leur dire d'aller bien se faire voir. Mais Sophie m'a conseillé de minimiser mes attaques verbales. D'après elle, sans mon taf, je sombrerais complètement. Elle a tout faux, la donneuse de leçon, je connais pas mal de joueurs qui réussissent à vivre de la diffusion de parties en streaming. Pourquoi pas moi ?
J'ai fini par ne plus en parler mais je réfléchis à un nom pour ma future chaîne vidéo. Il faut un nom qui claque, basé sur mon prénom, ça serait bien. Sachant que je m'appelle Axel, y'a moyen. AxelTv ? Basique. XcellDiffusion, pas top. Je vais y arriver. Et il faudra aussi un bon logo. Mais pour l'instant, le temps que je perdrais dans la com serait perdu pour le jeu. Et ça, il n'en est pas question. Je ne veux pas me distraire de la partie actuelle. Avec mon binôme, on a bien avancé. On est les patrons de notre bout de map, personne ne s'installe dans le coin de la carte sans notre autorisation. Mais il faut être présent tous les jours. En plus avec les décalages horaire, il faut qu'on recrute des joueurs venant de tous les continents, que chaque plage horaire soit bien défendue. Parce que je veux bien perdre à la loyale, mais se faire attaquer alors que personne ne défend le base, lorsqu'on est hors ligne, c'est pas possible. Il y a déjà assez d'imprévus avec les créatures non joueuses, les algorithmes qui nous envoient des menaces aux moments où l'on s'y attend le moins. Mais ça fait partie de l'immersion. Le nombre de facteurs à gérer dans ce jeu est hallucinant. J'ai ruiné pas mal de souris à force de cliquer dessus comme un psychopathe mais c'est ça qui est bon ! L'euphorie lorsqu'on a un bon rythme, sans temps morts, toujours une action à effectuer, donnant un résultat immédiat, l'efficacité parfaite, c'est ça qui donne le vrai plaisir. Savoir que tout se passe bien, plus que bien, et on touche du doigt la joie puissante de la proximité d'une sorte de perfection. Récolter des ressources, vérifier les niveaux de ses jauges de statistiques vitales, garder un œil sur l'environnement, l'état des stocks, tellement à faire, pas le temps de penser à autre chose. Si c'est pas de l'instant présent, ça ? De la méditation active, la liberté dans l'action.
Non, ma pauvre Sophie, tu ne peux pas lutter. Si en plus, tout ça se passe sous un coucher de soleil en ultraHD avec plus de 120 images par secondes, tu vas faire quoi ? Ton réel à la con, il a quoi, 24 images par secondes à tout casser ? Quel intérêt ?
– 24 ips ? Mon pauvre Axel tu dis n'importe quoi ?
– Ok. Alors c'est combien ? Et n'oublie pas de me donner tes sources, ça m'intéresse !
– Mais…? Le réel est analogique, y'a pas de découpage en "images par secondes". Tu sais que tu commences à m'inquiéter, à sortir ce genre de délire le plus sérieusement du monde.
– Le réel est analogique, t'es sûre ? On dirait que la révolution quantique t'es passée complètement au-dessus de la tête ?
– Et allé, après le point Godwin, voici le point Albert.
– Je te rappelle simplement que le réel n'est pas analogique car la matière n'occupe pas tous les états mais va par saut de valeur en valeur sans prendre d'états intermédiaires.
– Je crois plutôt que tu mélanges tout. Le problème d'avoir accès à trop d'informations, c'est que tout le monde croit pouvoir parler à la place des spécialistes. Mais si tu veux m'expliquer le monde quantique et son influence sur notre perception des choses, je t'écoute !
Je ne sais plus comment lui parler. La vérité, c'est que jamais un coucher de soleil en vrai ne m'a fait le même effet que ceux qui illuminent mon écran, après des heures de jeux aussi pénibles que gratifiantes. Je la sens, la différence. Elle est réelle. Alors, oui, je tente de me l'expliquer avec les quelques notions scientifiques que j'ai acquises par des vidéos de vulgarisation. Mais elle, de son côté, elle gobe tout sans rien analyser. C'est pas mieux. Elle ne fait aucune recherche. Et elle assène ce qu'on lui a pré-mâché comme si ça venait de sa propre expérience. En fait, elle vit par procuration. Moi, j'ai choisi d'agir. Alors, si je me trompe, parfait, j'apprendrais. Mais il faudra argumenter un peu plus sérieusement qu'avec de simples arguments d'autorité. L'autorité, elle se gagne, comme le respect. La vie est un jeu, non ?
04 juillet 2021
Loin de là
https://soundcloud.com/monsieurnormal/loin-de-la-lune-solaire
crédit photo : Oleg Oprisco pour les "Compos inspirées" d'Audiofanzine | |
Je ne suis pas ô loin delà
Alice l’héroïne d’autrefois
Moi tout me glisse entre les doigts
Je m’habille mais je ne sors pas
Quand je pense à l’au-delà
C’est son visage que je vois
Mais les pages sont fanées
Ma mémoire est délavée
Dans la plaine après l’orage
Son sourire était sans partage
Les sémaphores elle les dressait
Moins pour nous pendre que nous relier
Mais les fils sont coupés
Les guerres sont déclarées
Elle savait nous raccommoder
Elle avait tout ce qu’il fallait
Un sac dos magique
Une bobine de fil électrique
L'âme d'un marin du Titanic
Sur ses bottes bleu plastique
Maintenant elle est loin de là
Alice l'héroïne des livres d’autrefois
Si le temps n’existe pas
S’il vous plaît ramenez-la
22 mai 2021
Le Jour d'Après
J'ai vu le jour où il n'y eut
Plus de jour d'après
Je suis le dernier des coupables
Depuis la vie n'est plus un drame
Dessus ma table ne traînait
Qu'un grain de sable
L'ombre de quelques camarades
Tombés pour l'or d'une fable
Il faudra un peu d’altitude
Pour trouver ça normal
Bousculer un peu l’habitude
Retrouver l’animal anormal
Les juges en noirs se sont couchés
Tous muselés
Dans ma bouche le vent disperse
Dilue le poison dans l'averse
Les jours ont le goût de broyer
Nos âmes sombres
Et dans l'armée des révoltés
Les tournesols sont fauchés
Il faudra un peu d’altitude
Pour trouver ça normal
Bousculer un peu l’habitude
Retrouver l’animal anormal
09 mars 2021
Mauvaise fille
— L'as-tu vue partir ?
— Qui ça ?
— Ben Nina !
— Ben non...
On ne s'offusque plus. De toute façon, je suis déjà partie. Les enfants aussi font ça. Ils ne tiennent pas en place, ils n'ont pas l'art de se faire comprendre. Ce qui n'est pas très grave, ils reviennent toujours en nuée pour le désert. Entre temps au moins, on aura eu la paix. Alors je laisse le temps s'inverser et j'abandonne la joue de porcelet sous le linceul de mon assiette. Régalée de tranches de saucisson, je faisais jusqu'ici corps avec le groupe. Mais là, se taper la marmaille embrochée… Le cœur me remonte le long de la trachée, se bloque dans la gorge. Il s'essore à rebours de son sang, l'animal. Pourtant, par quel décret l'enfant aurait un destin différent de celui de ses parents ? Règle de boucherie : tout est bon dans le cochon. Je regarde mes parents ; quel goût ont-ils ? Le goût d'avoir trop causé, sans peser leurs propos, toujours plus pour le contre que le pour, souvent mal informés, assurément sous le coup d'une poussée d'émotion gourmande. D'évidence, ils auront la chair trop nerveuse pour une tendre dégustation.
Il faut donc que je parte. Atténuer ces palabres plus tristes que sensés…Calmer l'avalanche de pensées qu'ils suscitent en moi. Étouffer par la distance leur bruyant désaccordage. On dit qu'à la ferme, le cochon le sent, quand le vent s'apprête à tourner et que sa vie va bientôt s'achever sous la machette. Il se met à hurler, devançant la confirmation de l'outil affûtée. Un cri à vous briser le cœur.
Les convives y pensent peu, sinon pour faire de l'esprit. On dira alors qu'il couine, le cochon, d'un verbe presque aussi joli que délicatement drôle. Je n'y entends que l'horreur d'un désir fracassé contre l'absurde. Et en quoi le porcelet aurait-il plus à souhaiter que son saucisson parental ? Et moi, aurais-je autant de convictions qu'un centimètre carré de papilles gustatives désœuvrées ?
À table aussi, on a compris que la fin est proche. Alors, pour n'y plus penser, on jacasse de plus belle. Ça sent la friture, la couenne grillée. Avec tout ça, encore une fois, j'ai perdu pour un temps l'appétit dans le bruit…
04 février 2021
Sultana Dangerosa
Maria j'ai rêvé d'un jour t'accompagner
Maria tes voyages loin de nos eaux glacées
Maria je voulais les faire à tes côtés
Je n'aurais jamais dû mais qui peut m'en blâmer
À la tombé du jour, ma pension j'ai quitté
J'ai couru les pavés vers les caves où tu chantes
Je voulais respirer sous tes voiles puissantes
On disait que tes airs dissiperaient les brumes
Que tes lèvres nous portaient au sommet de la hune
Loin des marais salants qui lèchent mes blessures
Vers des temps plus cléments pour rincer la saumure
On me voyait le soir descendre jusqu'au port
Quelques heures à jouer au marin ivre mort
Bras dessus bras dessous, on ruinait les cantines
En hurlant trop content à l'abri de la bruine
Pour les déboussolés, tous les frères de fortune
Les marins assoiffés perdus sur le bitume
Tu promets des palmiers sur les mers de corail
J'ai signé, je me fous de goûter la ferraille
Je ne chercherais plus l'éclat du rayon vert
Ma coque a succombé sous les grains sans te plaire
Je n'ai rien du pirate si ce n'est la galère
Où je rame sans espoir de faire machine arrière