09 novembre 2012

La maladie

photo Sylvain Lagarde
Je suis tombé dans la maladie
Et impossible de dire précisément quand. Mais c’était forcément à un moment charnière. Depuis, je passe en revue le moindre de ces évènements. Comme si je pouvais guérir en revenant à la source du mal. J’ai plutôt l’impression de me servir de cette hypothèse douteuse pour me distraire l’esprit. Il serait pourtant bien plus judicieux de me concentrer. Mais la fièvre épuise une à une mes dernières forces. Mon capital fond. Mes muscles, ma vue se disolvent. Je ne sers plus qu’à penser. Je rêve d’équinoxes. 
Ça aurait très bien pu être le jours où j’ai enfin répondu à ton invitation, que d'un coup je glissais dans cet entre-monde. Je garde précieusement la mémoire, de l’heure, de la minute, de la seconde. Dans ma collection compulsive de codes temporels, il figure en bonne place. J’avais donc sonné à ta porte et depuis ce qui me sembla être une bonne dizaine d’année, j’attendais sur ton palier. Je profitais de ce temps mort pour ne penser strictement à rien. N’attendre rien non plus. Je regardais le bois de la porte. Il me le rendait à sa façon, m’hypnotisant doucement. Je me doutais bien qu’il aurait suffit de compter les veines du bois, de l’extérieur vers l’intérieur, pour connaître l’heure pile où je passerais enfin, de l’extérieur vers l’intérieur. Mais je préférais la surprise. Ou plutôt, je me saoulais du manque de courage qu’il m’aurait fallu pour m'atteler à cette tâche, somme toute fastidieuse. J’étais déjà un peu vieux, je crois.
C’était la glissade qui me plaisait. Je sentais le temps se raccourcir, se compresser, attendant affectueusement l’effet de ce que que j’avais pris l’habitude de nommer : mon bon ressort. La porte devrait grincer car l’infini mathématique encore une fois mentirait. Et je serais soudain chez toi. Quoiqu’en omettant soigneusement de préciser l’épaisseur du ressort, je maintiens artificiellement en vie un miracle qui n’aura pas lieu. Si elle pouvait, un jours, cette porte, pour mon plus grand bonheur, n'en jamais en finir de s’ouvrir. Vraiment, elle ne devrait jamais en finir. Je ne devrais jamais rentrer. L’institution assignerait à chacun une porte, à chacun une place. La paix immobile des nations. Les peuples des portes, ni ouvertes, ni fermées.
Juste en train de...

- Je t’en prie, entre.

Je suis passé du palier de l’immeuble au couloir de son appartement à 20h 32mn 05s. C’était le jeudi 15 novembre 2013. Je ne pourrais pas mieux dire. Y a t’il eu un éblouissement à la bascule des mondes ? Ai-je reçu une quelconque piqûre au bas ventre, pour ce passage téméraire, qui fût loin d’avoir bénéficié de l’attention qu’il méritait ? J’ai bien peur de ne pas savoir ?
J’avais déjà, avant de la rencontrer, franchit tellement de seuils, fait preuve de tant de légèreté coupable.
Et c’est là que certaines de nos maladies communes s’installent. Une brèche s’ouvre, on regarde ailleurs, pressé forcément. Mais quelque chose guette.
Un trou se forme.
Et on tombe... 
Dans la maladie.

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...on en cause ?