13 janvier 2013

3 jours et 3 nuits



photo : Grant Dixon
Cette fois ci, j’arrête.
Et, si je tente, par la présente, d’en expliquer le pourquoi, qu’il ne soit pas dit que j’en espère un quelconque bénéfice ou autre retour sur investissement. J’arrête, et c’est par ce geste que reçois directement mon salaire. Et basta, le léger agacement de n’être malheureusement pas le premier. Car j’aurais adoré, sentir l’inédit, une seule fois, avec ce goût qui ne fond qu’en bouche de ceux qui, seuls, savent, sur les plus hauts sommets de l’expérience humaine, innover. Au moins, je sais à quoi m’attendre. J’ai vu, lu, entendu, la foule de ceux qui restent. Leur véhémence m’a vrillé les oreilles et le cœur. J’ai été jusqu’à penser leur répondre, l’index frôlant la touche F du clavier, failli participer au débat, tenter de juguler la curée, défendre les absents. Mais, à cette époque, il m'apparût évident que mes propos seraient saturés de cette colère qui bouillait, souillait mes entrailles devant le mépris, la vison étroite des assaillants. Alors que je la contrôlais à peine dans mon quotidien, comment la maîtriser sous le couvert d’un pseudo ?
Soit, je serais le lâche, l’hypocrite, le faible, l’égoïste, le prétentieux, le réac, le manipulateur, le profiteur...
Et je laisserais les restants trier, alourdir, cette liste non exhaustive.
Mais c'en est trop.
J’ai essayé, cherché, soupesé, hurlé, murmuré, avec force, douceur, emportement et patience.
Aujourd’hui, je peux dire que, pour moi, plus rien ne devrait.
Oui, la phrase est finie.
Le futur, c’est du passé.
Je me suis déconnecté.

Un vendeur d’armes se laissait filmer. Il répondait, décontracté, assuré. Des filets de certitudes, parfois, dégoulinaient de la commissure de ses lèvres. Son credo était limpide : l’outil n’est rien sans une volonté humaine qui l’anime. Il n’a pas parlé de conscience. Ni d’inconscience. Juste d’objets qui font ce qu’on leur demande, qui se laissent transporter, dociles, d’un côté ou de l’autre de la frontière. Et si ils sont manipulables, c’est qu’il sont irresponsables. Comme ceux qui les fabriquent.
Il était convaincant. Je n’étais pas très convaincu.

Je sais ce que j’aurais fait, loin de cette boite mail qui ne se remplissait que de sollicitations commerciales. J’aurais vécu autre chose. J’avais eu beau la renommer “boite de déception”, pour ne plus être surpris des effets indésirables, rien n’y faisait. Je l’ouvrais. J’étais déçu. Et je ne jouissais même pas de la satisfaction de cette prédiction... J’avais quatorze ans, je soupirais, en attendant mieux, juste un peu mieux que rien. Mais aucun signes extérieurs n’indiquaient la moindre possibilité d’évolution, d’extirpation de cette fosse où je croupissais.
Par intervalles réguliers, je réalisais soudain que j’avais passé de longtemps l'âge ingrat de l’attente, de la résignation, de la soumission aux pulsions et à la procrastination. Alors j’agissais. Enfin.
Je participais ! Porté par la force qu’on ne prête qu’aux forts, je publiais, postais, répondais, inventais, créais, comme si ma vie en dépendait (en dépendait-elle ?) Tout en évitant soigneusement de laisser transparaître autre chose que le plaisir de l’acte gratuit.
Une maîtrise impeccable, une pleine conscience accomplie.
Du vent.
Je me surprends à attendre. J’ai de nouveau quatorze ans.
J’ai même joué, collectionné, les commentaires, les pouces levés, les yeux rivés sur les compteurs qui grimpaient avec ardeur. J’ai pactisé avec les prisonniers de l’audimat individualisé, appris les tactiques d’augmentation de fréquentation. J’ai écris comme on boit, pour oublier.

Trois jours et trois nuits.
Et tu n’as pas écrit.
J’ai quatorze ans.
C’était lui ou moi.
Alors j’ai donné un coup de ciseaux sur le câble du réseau.


4 commentaires:

  1. Mystérieux texte qui va occuper mon cerveau...
    Mais à part ça, c'est plutôt bien d'avoir 14 ans, non ?

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  2. Ah, 14 ans, un amour déçu, on coupe le cable.
    A 41, un amour déçu, on rebranche le cable.

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  3. Messieurs Dames, même tard je vous le dis tout net, quatorze, c'est niet ! Et le fait que j'ai pas eu de mobylette peut jouer mais pas que.

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  4. Ca tombe bien y a pas de replay prévu je crois.
    Et si c'était possible je ne recommencerais pas aussi loin que ça. Notamment par manque de mobylette.

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...on en cause ?