13 janvier 2020

Petit Papa Noël ?


Défi WriteControl - (mots en gras à utiliser)



En ouvrant la porte de sa chambre, j'ai mis quelques secondes avant de repérer son visage. Autour d'elle, une foule d'appareils ultras modernes me jetaient des signaux sonores et lumineux, d'un air tout à fait sérieux. Oiseaux de mauvaise augure ou bonne étoile, je ne savais comment déchiffrer ces indications techniques ? Il fallait, encore et toujours, renoncer à comprendre. Faire confiance à l'équipe soignante de l'aile Ouest du 3e étage de l'Hôpital Pellegrin. Je disais, à qui voulait bien l'entendre, que moi, je ne cherchais que Sophie. Je n'étais pas un type compliqué, simplement son ami, son mec.

– Mon Dieu ! Qu'est-ce que t'es beau !

Sophie venait de m'apercevoir. Et aussitôt, elle avait saisi son drap à deux mains, en serrant les poings, comme un enfant s'empare soudainement de son jouet préféré. Et on le sait ; ces petits bonhommes sont assez malins pour différencier un sucre d'orge appétissant d'une grossière paire de mitaines usées. Logiquement, il ne devrait pas y avoir de quiproquos. Aucune change qu'un objet inapproprié ne côtoie leurs papilles gustatives. Alors, pourquoi ces étoiles inquiétantes qui nous troublent la vue, devant leurs mouvements imprudemment saccadés ?

Sophie n'était plus une enfant. Elle mit pourtant brusquement le bout de tissu devant sa bouche. Peur d'en dire plus ? Je ne voyais plus maintenant que ses yeux brillants, qui nageaient au-dessus d'une vague de drap bleu. Ses poings toujours serrés, paumes sur les lèvres, retenaient sûrement quelques cris joyeux. Pourtant, ils étaient étonnement teintés d'une de ces peines inconcevables, parmi les plus tristes que je n'aurais cru possible de contempler, sans m'effondrer dans l'instant.

Pour me ressaisir, je lui fis remarquer que sa phrase d'accueil, pour flatteuse qu'elle ne soit, n'en était pas moins grammaticalement désolante. Elle sourit, faiblement. Ses forces consumées par sa courte éruption de joie. Je comprenais les choses toujours trop tard, comme ici, de ne faire en aucune façon ce genre de reproches à une mourante. Mon professorat n'en finirait donc jamais de déteindre sur la moindre de mes activités civiles ? Je fis intérieurement cette résolution de Nouvel An ; arrêter de reprendre mes proches. Ne sommes-nous pas tous, à plus ou moins longue échéance, mourants ?

Sophie avait toujours eu quelque chose qui cloche. Sa petite sarbacane, elle n'en voulait plus. Le temps infini que j'avais passé à m'en délecter, des saveurs toujours changeantes de son biscuit défendu, n'avait rien changé à l'affaire. Je lui avais même fait une lettre. Mettre noir sur blanc mes sentiments, n'avait pas plus apaisé ses angoisses que si j'avais jeté une boule de neige au cœur de notre veille cheminée allumée.

J'adorais, lui disais-je, quand elle faisait la dinde, nue sous le plus beau de ses manteaux de couturier, pour une de ces séances jubilatoires, dont j'étais l'unique spectateur. Alors, qu'elle cache une bûche en son sein, peu m'en importait le dessin ! Son vœu d'en finir avant la fin de l'année, avec cette enveloppe de lutin parano, elle qui se savait depuis toujours fille de Mère Noël, c'était son sémaphore, son sourire des nuits de veilles.

Et, ce cadeau, la technologie aurait dû le lui offrir. Le chirurgien qui nous reçu dans son cabinet avait été formel. L'ablation était une opération de routine. Même un apprenti sorti droit de la crèche savait la pratiquer. Il rajouta même en riant :

– Vraiment, ne vous inquiétez pas. En plus, c'est vraiment le type d'opération qui me botte !

Il était drôle, il était beau et aussi musclé que basané. Avec Sophie, on se tapotait du genou en signe de complicité discrète. Sans dire un mot, je savais qu'elle ne pensait qu'au délicieux Petit Prince qu'on pourrait faire ensemble, une fois les coups de scalpels cicatrisés. Alors, voir les cotillons de nos désirs brûler aussi vite qu'un sapin sec, gâchant irrémédiablement la fête de fin d'année, c'était inconcevable.

Pourtant, malgré tous les gants qu'il prit lors de l'opération, quelque chose foira. Une infection nous jetait, anges déchus, aux enfers. J'avais eu beau insulter tout ce qui me passait entre les mains, de personnel médical ; l'état de Sophie ne s'était pas amélioré. Même elle, je l'avais engueulée. Comme quoi, me faire passer les fêtes de fin d'année à l'hosto, c'était pas très sympa. J'avais dû prendre un air comique ; elle avait souri. Sophie, je crois qu'elle vient d'une autre planète. Et, si elle doit repartir comme le prédit l'académie, elle fera escale sur la Lune. Pour un dernier regard vers cette Terre où elle n'avait pu se faire la moindre place.

Assis près d'elle, je tenais le coup. Je restais solide. Elle me disait froid, sortant d'une bataille de neige ou quoi ? Ce n'est pas de la distance, Sophie. À quoi te serais-je utile, effondré. D'un cœur fendu en deux, ne sortent que des larmes. Pas d'explosion de confettis. Faut pas rêver. Elle, elle rêve encore. Comme une adulte qui croirait encore au Père Noël.

– Pourquoi ? Tu n'y crois plus, toi ?
– Ben, pas tant... Surtout quand on voit ce qu'il nous envoie.
– Ah ! Donc, tu y crois !
– Non, je dis que s’il existait, tout ça ne serait pas arrivé.
– Mouais, t'avais pas dit ça...
– C'est vrai, j'avais dit que c'était de sa faute. Faut bien un responsable sur qui taper... 

Ça aurait sans doute été plus simple, de déposer tous nos fardeaux dans les bras d'un vieux barbu de rouge vêtu. Et, sûr que ça aurait fonctionné. On aurait été soulagés. Mais, notre seul Dieu, c'est le réel. Lui, il s'en fout de nous aider. Un faux pas, un outil mal décontaminé, il distribue autant de bactérie que stipulées dans la charte infectieuse. Pour que les lois de la biologie soient respectées. Saloperie de Lois... Je m'en tape, des lois. S’il suffisait que je me mette à genou en priant le Père Noël de sauver Sophie, je le ferais. Contre la mort, toutes les armes sont bonnes à prendre. La pudeur, la raison, les siècles d'expériences humaines, ça nous a mené où ?

– Ça te ferait du bien, si j'y croyais, à ton Père Noël ? ai-je tenté, un peu à bout.
– Ben ? Non ! Tu fais comme tu le sens. Pas comme tu penses que je le voudrais. Bêta !

Sophie, la réalité, elle s'en tape. Les lois de la Nature qui lui ont donné le mauvais corps, elle n'a pas le goût de les vénérer. Alors, un gros barbu qui sourit avec une grosse voix de camionneur, ça ne lui parait pas non plus incohérent ? Et, moi aussi, finalement, ça m'aide de la savoir en d'autre mains bienveillantes, quand je la quitte pour la nuit. Je sais qu'elle a trouvé du réconfort. Je peux doucement me glisser hors de la chambre. Pour enfin m'effondrer dans le couloir sans fin qui mène aux ascenseurs. J'enfonce le plus possible mon bonnet de laine sur mes yeux, pour cacher mes larmes. Pour éviter la contagion. Ces choses là doivent se faire seul. Alors, la douleur monte. J'aimerais bien arriver à la voiture avant que cette lave ne me broie. Les portières fermées, la musique montée, je pourrais expulser ce râle qui attaque mes cordes vocales. Cette source acide, née dans ma poitrine, se diffuse partout. Il faut qu'elle sorte avant de me bousiller complètement...

Mais, qui n'a jamais connu la peine ? C'est en pensant à cette communauté de douleur et de chagrins inconsolables que finalement, je m'apaise. Aucun d'entre nous n'est seul. Je suis tellement sûr que, disséminés autour du globe, nous sommes un paquet à actuellement suffoquer de douleur et de rage. C'est un peu comme si nos sanglots coulaient vers le même fleuve, une drôle d'unité désespérée. Ça n'a pas de sens, mais on dirait que ça m'aide. Les larmes m'ont simplement traversées. Je ne sais ni d'où elles viennent, ni où elles vont. Mais, je sais qu'elles ne m'appartiennent pas, qu'elles ne me définissent pas. Elles sont à nous tous, ceux qui les accueillent pour un temps.

Demain, je retournerai voir Sophie. Je serai solide. Un moment. Peut-être même drôle ? Elle le croira. Je le serais donc. Puis, peu à peu, comme des flocons sous le soleil d'après-midi, mes forces iront s'évaporant. Il sera temps de repartir, temps de hurler dans un véhicule mal garé. Avec un lampadaire agonisant comme seul témoin.
Chaque jour, au-dessus de chaque porte de notre foyer, j'aurais dû mettre du gui. Je l'aurais embrassée plus souvent. Nous aurions ris plus souvent. Mais, innocent, je voyais le chemin ensemble si long qu'il devait forcément tutoyer l'infini ? Je suis sûr que si l'on m'avait interrogé, j'aurais même, en toute bonne fois, déclaré être pratiquement immortel. Non, je refuse que cette fin soit une option !

– Et là, tu penses à toi ? Vraiment ? Sophie n'en a plus que pour quelques jours et tu penses à toi ?
– Je... Pourriez-vous sortir de l'ombre et me parler en face si vous avez quelque chose à me dire ?

Mais, dans cette nuit noire, je ne voyais personne autour de la voiture. D'ailleurs, la musique était si forte, comment aurais-je pu entendre un passant me parler ? Qui pouvait être au courant de la moindre de mes pensées ? Un frisson me griffa de la nuque jusqu'en bas du dos. Qui donc m'avait fouetté, d'une de ces branches de hou aux épines acérées ? C'était la peur. Je la reconnaissais. Car, cette voix inconnue, je peinais à me l'avouer ; elle n'était pas naturelle. Rien ne collait, c'était bien trop absurde. La voix m'était complètement étrangère et vu les décibels produites dans l'habitacle, de toute façon, il m'était impossible d'entendre aussi clairement quelqu'un à l'extérieur...


– Petit Papa Noël ?

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