24 octobre 2012

La haine vous allait si bien


Kiele Sanchez de chez 30 jours

   C’est une veste sombre. Appelant l’obscurité, sans pour autant céder au noir. Car, établi, il ne demanderait qu’à tout dévorer, de l’angoisse jusqu’à la paix. Le toucher doux de l’acier, qui ne renvoie qu’une image implacable, impeccable, sait qu’il va tout déchirer. Il fallait qu’elle se laisse deviner, l’horreur.

Il fallait donc donner, pour recevoir, et encore demander, pour savoir, et toujours, inviter, pour se voir.
De mon côté, surtout, discriminer.
Ce qui ne fût, loin s’en faut, pas fait.
Un tailleur légèrement échancré. Un appel, une infime possibilité, la pente.
Il y avait pourtant eu un avant la haine. Avant les brouillards glacés de novembre. Ce furent des éclats de rire, courts et aigus. Des bruits de braises chaudes dans la cheminée du salon. Des pieds nus sur la moquette. Des promesses de fêtes imminentes, des jeux.
Une femme est venue, les bras chargés de cadeaux. Elle distribuait, comme au hasard, des paquets anonymes, de toutes formes et de toutes tailles. Sa soif d’offrir illuminait son regard, rosissait ses joues. Elle semblait prête à se consumer, de baisers en baisers. Elle sentait l’herbe folle des près en jachère, du temps des colonies à la liberté bafouée, par les grumeaux de bitume liquéfié des chemins brûlants sous la canicule.
Les nuages s’alourdissaient.
Alors elle m’a enseignée la haine. Quand vint l’évidence que, par nos poches trouées, les sagesses anciennes furent dispersées en poussière de marbre, englouties par la plus isolée des clairières ; il ne resta plus qu’elle.
Son présent, j’ai dit, ce fût la haine. Parce que la ville nous attendait. Parce qu’il était tard. Le ciel perdait devant l’orage. Elle prodigua, contre le pire, ce qui s’avéra être le pire des contre-feu.
Elle cherchait quoi ?
L’amour, j’imagine.
Elle proposa ? Oui, la haine.
Mais elle la portait si bien... Une haine soigneusement réfléchie, délicatement découpée, qui lui tombait parfaitement, judicieusement, au dessus du genou. Agréable l’été, pratique en hivers, toujours à l’aise entre deux taxis, entre deux averses. Un vêtement délicieux d’intelligence.

Et la Javanaise résonnait, en négatif :
“J'avoue j'en ai bavé pas vous,
Mon amour
Quand j’ai eu vent de vous,
Mon amour”

Mais c’était moins beau. Un jour je regarderais les pieds, bien plus attentivement. C’est qu’ils tiennent autant l’édifice qu’ils ne précipitent sa chute. Et moi, enfin, avec une indélicatesse coupable, et pourtant devenue tout à fait coutumière, je m’en fous comme de ma première chemise.
Comme de vous, et de votre étrange cadeaux, impossible à refuser, inutile à accepter. Un cadeaux qui ne s’ouvre que pour se refermer, après avoir avalé celui qui a eu l’audace de le dépiauter.
Mais, ce n’était pas vraiment un cadeau.
Pourtant, il vous allait si bien.

2 commentaires:

  1. ...... encore un très beau texte.
    Mes penchants naturels mi-littéraires, mi-vestimentaires me font apprécier particulièrement la métaphore de l'habit. Encore une fois, les images se dessinent, et même, le froissement du tissu s'entend. J'aime beaucoup.

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  2. On dirait que la pluie se calme, que le froid s'estompe.
    J'ai beau croire violemment qu'on ne lit que ce qu'on cherche, ton commentaire fait du bien, merci.

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...on en cause ?