25 mars 2019

Art Noir

Défi d'écriture Babélio
Bonjour, c'est avec beaucoup d'émotion, qu'au hasard des mes déambulations numériques, j'ai eu vent de votre défi d'écriture. Vous n'imaginez pas à quel point votre proposition résonne avec mon parcours personnel. Car, depuis quelques temps, me remonte en mémoire une bien étrange affaire. Tellement étrange, d'ailleurs, que l'idée même d'en relater l'intrigue à qui que ce soit m'en avait toujours semblée tout à fait inopportune. Notre époque, pleine de complot et de suspicions, pourra-t-elle en supporter d'avantage, avec l'aventure que je m'apprête à révéler ici ? Je l'espère de tout cœur.

Les fait remontent maintenant à un peu plus de dix ans. J'étais encore en parfaite possession de mes moyens. Avec l'insouciance et la témérité qui accompagnent l'illusion de la maîtrise des évènements. Mais, je ne cherche à m'accorder aucunes excuses, soyez-en sûre.

Si jusqu'ici, j'ai obéi à la plus grande des prudences en me taisant ; j'ai malheureusement dû en payer le prix le plus fort. La solitude, seule compagne dorénavant à mes côtés, m'est peu à peu devenue d'un commerce insupportable. C'est que, l'âge et la maladie, finissant de ronger une existence devenue si morne au regard de ce qu'elle fût, s'accommodent bien mal d'une absence totale de confident. Je revois, dans mes nuits de veille, mon entourage, prenant mon mutisme pour je ne sais quel affront, finir par se diluer dans la grisaille du quotidien qui est le mien depuis ces affreux évènements. J’eus beau préférer les savoir loin de moi, mais au moins, sains et saufs ; le poids de ma culpabilité n'a cessé de s'alourdir.

Ne vous méprenez pas. Je n'écris pas ici pour gagner une gloriole quelconque et, maudis par avance, son inévitable cortège de courtisans, avides d'en vouloir récolter quelques miettes. Je sens, simplement, mes heures comptées et, si faire se peut, il me semble important de mettre en œuvre mes dernières ressources pour tenter d'apaiser, autant que possible, une conscience fort chargée.
Ceci étant dit, permettez-moi d'en reprendre le déroulement des faits par le menu.

À la source de toute cette triste affaire, on trouve, rien de bien singulier ici, une curiosité à laquelle je n'ai jamais su résister. Possédant une rente que d'aucun qualifierait d'indécente, je passais le plus clair de mon temps, de musées en rétrospectives, de pays en continents, acharnée à satisfaire un insatiable appétit de découvertes. J'usais, par la même, un nombre conséquent de partenaire, las de respirer l'air immobile des enceintes culturelles. Alors, un jour, c'est définitivement seule, que je dû me résoudre entreprendre mes pèlerinages devenus vitaux.

Je ne sais quel vide pensais-je pouvoir combler mais, ma soif de voyage, de découvertes, de culture, semblait sans fin. À chaque voyage, mon appétit grandissait au lieu de se rassasier. Mon appartement n'était plus qu'une invraisemblable salle d'archivage, attendant son conservateur zélé, seul capable d'y mettre bon ordre. Je n'y faisais, de toute façon, que passer, pour relever un reste, anachronique, de courrier papier. Et, surtout, me délester des programmes d'expositions, des revues, et la foule de souvenirs autant coûteux que dispensables.

Dans toute cette effervescence, je commis ma première erreur ; oublier que les caméras de surveillance sont devenues monnaie courante et les sauvegardes, quoiqu'en préconise les textes de loi, illimitées, autant en temps qu'en quantité. Ici, je me dois bien de l'avouer, si tous mes souvenirs sont de fait, coûteux, cela n'implique pas forcément qu'ils fussent un jour offerts aux marchés de l'art. J'ai la main leste, que ne freine aucun respect servile des us, lois et coutumes. Et, si je suis tombée des nues en apprenant que la prise de photos, que ce soit d'œuvres ou de monuments, est soumise au droit d'auteur, et donc, régulièrement prohibée, je m'en suis vite remise.

Je m'interroge parfois, sur mon irrépressible besoin de posséder. Surtout que je n'ai personne avec qui partager les fruits de mon avidité. Ces étagères pleines de livres, ces cartons de bibelots, ces tableaux empilés en désordre, hurlent en chœur avec mon âme ; que vienne enfin cet alter-égo qui saura m'en faire jouir une fois encore, par ses regards émerveillés.

⁃ Ce que je trouve tout de même incroyable, c'est que pour quelqu'un qui souhaite se confier, vous semblez plus que prompte à tout recouvrir de ce fog Londonien du XIXe siècle, opaque et flou, d'où rien de clair ne semble jamais prêt à pointer ?
⁃ Je me demandais à quel moment vous alliez commencer à tiquer.
⁃ Qu'est-ce à dire ? Vous sous-entendez une possible entourloupe ?
⁃ Vraiment, au début, j'étais prête à tout. Tout dire, me montrer nue, dans une parfaite vérité.
⁃ Et…? Au fait, je vous en prie. L'inquiétude distille son poison et mon cœur se serre.
⁃ C'est que, d'abord, je voulais vous parler de ma relation, par trop intime, avec le fameux tableau de Courbet, "L'origine du Monde".
⁃ Soit, et… Il faut vraiment vous arracher les mots. Ne craignez vous pas d'en devenir terriblement pesante.
⁃ Bien, pour être, comme vous le souhaitez, des plus prosaïque, voilà : mes deux idées sont déjà prises.
⁃ Prises ?
⁃ Oui, prises, déflorées, violentées, exhibées, comme dire mieux ?
⁃ Par quels odieux personnages ? Nommez les et mon courroux les clouera sur un pilori tel que seule la pourriture de l'opprobre ne pourra les déloger.
⁃ Ben, pour Courbet, c'est Sflagg qui m'a dépouillée.
⁃ En même temps, il était là avant vous… Comment aurait-il pu savoir ?
⁃ Certes, j'ai moi même cru au hasard mais, attendez, l'affaire ne s'arrête pas là.
⁃ Un autre devancier ?
⁃ Pour le moins. Après une enquête exhaustive de plusieurs minutes, sur les liens plus que mystérieux, entre la plume totémique de Quetzalcoatl et le brevet de la glissière américaine, que ne m'aperçois-je donc pas ?
⁃ Heu, non, si en plus vous posez des questions, rien de bon n'en sortira. S'il vous plaît !
⁃ Voilà, voilà, gardez votre sang froid, vous en aurez besoin.
⁃ Nous parlerons de ma santé une autre fois, j'insiste.
⁃ Soit. Savez-vous comment Whitcomb Jusdson eut-il l'idée de la fermeture coulissante, en ce doux mois de mai 1893 ?
⁃ Nope.
⁃ Sa plume ! C'est sa plume, avec laquelle il écrivait, qui venait de se casser. Il se pencha alors, pour l'observer au plus près, dans un parfait élan de procrastination constructive. Et, lissant doucement les barbes disjointes, il nota qu'elles reprenaient miraculeusement leur forme originale.
⁃ Oui, j'aime bien faire ça, quand l'occasion se présente.
⁃ Et bien, c'est dû aux barbules munies de minuscules crochets.
⁃ Non ?
⁃ Si !
⁃ Et ?
⁃ Et bien, relisez attentivement l'exquis Laerte
⁃ Effectivement, son Zip vous coupe pas mal l'herbe sous le pied.
⁃ D'autant plus que j'étais bien partie pour révéler un complot mondial. La plume étant connue depuis des lustres, pourquoi attendre le début du siècle pour s'en inspirer ?
⁃ Diantre, vous me semblez prête à tout pour attirer une attention que vous prétendiez, de prime abord, maudire ?
⁃ C'est pas vrai.
⁃ Un peu quand même…

Ainsi va le monde de l'art, entre soif d'absolu et soif de reconnaissance. Dans une tension perpétuelle entre création et plagiat, usurpation et influence. Et si, d'éternité, flottaient en nos âmes, les royaumes des idées partagées, fait de la somme de tous les possibles ?

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