30 septembre 2019

Conte d'Automne


Il était une fois, une des plus belle jeunes filles qu'on ait jamais connues.

Elle vivait il y a de cela fort longtemps, dans la plus immense des capitales, du plus grands des pays d'alors, plus grand même qu'un continent. Et, parce qu'un bonheur ne vient jamais seul, elle était l'unique héritière d'un homme immensément riche.

Son père régnait sur un empire tellement puissant, qu'il contrôlait la vie et les rêves d'environ quatre vingt dix pour cent de la population. Souvent absent du palais, qu'il avait bâti pour sa petite princesse, il était pourtant persuadé de savoir comment combler le moindre de ses désirs. Pour son bien, il la maintenait, temporairement, au sein des quatre vingt dix pour cent. Son plan de croissance était, à ses yeux, parfait : elle entrerait, à sa majorité, par leurs chromosomes partagés, automatiquement dans les dix pour cent.

La jeune et jolie Cindissadaye, pourtant, s'interrogeait :
Dites-moi, Père, est-ce vrai que je serai vraiment en mesure de jouir d'une liberté absolue, lors de mes dix huit ans révolus ?
Cette question, qui revenait régulièrement, lors de ses visites éclaires entre deux réunions transcontinentales, avait le don de le mettre hors de lui. Et, malgré l'amour infini qu'il vouait à la chair de sa chair, il haussait le ton à en faire vibrer ses poupées de porcelaine :
Vous ferez, un jour sûrement, tout ce qu'il vous plaira, lorsqu'il sera temps pour moi de céder ma place. Mais pas avant !
Mais Père, nos technosciences vous ont offert toute la puissance d'un immortel ! Je ne veux pas attendre encore un siècle avant d'en profiter ?

Alors, dans un scénario, savamment répété, elle quittait le canapé du salon, moitié pleurant, moitié hurlant, claquant toutes les portes sur le chemin de ses appartements. Le Père, habitué, comptait les portes au bruit qui s'éloignait : au quatre vingt dix huitième coup de tonnerre, il savait qu'il aurait enfin la paix. Le palais était vraiment trop grand, se disait-il, en souriant, finalement très satisfait de sa fabuleuse réussite.

Enfermée dans sa chambre, notre princesse était loin d'être toute seule. Malgré tous les outils que son père aurait pu utiliser pour l'en empêcher, elle naviguait virtuellement de part le monde, sans aucunes autres limites que ses désirs. Et, parmi eux, en était un des plus impérieux ; être aimée, reconnue pour le moins, de la terre entière.

Elle avait, pour ce faire, soumis l'ensemble de ses données aux Sept Immortels, gardiens des fermes minérales, inclus en rangées multicolores, tout autour de son miroir princier. Elle ne comprenait pas l'animosité qu'ils suscitaient parfois car, de son point de vue, ils l'avaient toujours servi avec une parfaite efficacité.

Avec le Grimoire des Visages, elle profitait d'une seconde existence, bien plus riche et amicale qu'au manoir paternel.
Aux Gazouillis Fulgurants, elle soumettait ses avis éclairés, ses colères et découvertes que nul n'aurait manqué sans passer pour un benêt.
Il y avait aussi les Fabuleux Flashs Fugaces, où ne régnait que l'image magnifiée de son quotidien rayonnant.
Grâce à l'Étincelle Éphémère, elle feuilletait, distraitement, qui serait son futur jouet jetable.
Où elle semblait la plus vivante, c'est évidemment avec le Tunnel Personnel. Là, qu'elle était la plus belle et la plus proche de nous, vraiment !
L'Épingle savait à merveille alimenter, créer, partager tous ses centres d'intérêts.
Enfin, pour s'immerger dans les ondes sonores, elle savait bien retrouver le point sur la Carte à Haute Fidélité.

Pourtant, les jours jusqu'à sa majorité ne défilaient pas aussi vite qu'elle l'aurait souhaité. Son agenda semblait noyé dans une sorte d'ambre gluante qui en ralentissait l'écoulement. C'était, elle n'en doutait pas, un signe évident qu'un malédiction était à l'œuvre. Et, chaque matin, elle attendait l'air maussade, que tombe une terrible nouvelle.

Ce fut, une semaine avant ses 18 ans, que l'événement fort craint arriva : son Père lui présenta sa nouvelle femme. Il était tellement évident qu'elle n'en voulait qu'à sa fortune que Cindissadaye se demanda quel sort l'avait ainsi égaré ? Sa haine envers la vieille harpie monta en un instant. Les portes claquèrent. Le Pères les compta. Et le calme revint. Quelle satisfaction d'avoir une aussi grande demeure !

Heureusement, en consultant ses Sept Alliés Immortels, elle ne doutait pas de trouver le remède qui rendrait la raison à son cher Père. Ce qui ne tarda pas. Elle devait entreprendre un long et dangereux voyage pour pouvoir se le procurer. Et, pour cela, traverser plusieurs dizaines de royaumes étrangers, cent fois plus de fleuves, ainsi qu'un bout d'Océan. Mais, il n'y avait pas d'alternative, si elle voulait retrouver sa place de première dame auprès des siens.

Alors, un mercredi, elle pris la route vers le soleil levant. Elle avait pris le minimum, pour voyager léger, ne pas trop attirer l'attention et, surtout, revenir au plus vite. Sa peur, bien naturelle, fût atténuée par la douceur et la force de la confiance que lui distillait d'heure en heure son cher Miroir Princier. Et, bientôt, elle fut à destination.

Ce dont elle ne se doutait pas, c'est du terrible chagrin qui s'empara de son Père chéri, devant son départ soudain. Les conseillers de Cindissadaye furent pourtant très clairs ; il ne fallait pas le prévenir. Ils rajoutèrent que les vieux, ça ne peut pas comprendre et qu'il faut, au maximum, les tenir à l'écart de ses intuitions, de ses mouvements et de ses sentiments.

Qui aurait pu prédire qu'un homme aussi riche, aussi solide, pouvait être terrassé jusqu'à en mourir, devant la fuite d'une jeune fille ? Pas elle. Mais, ce fut donc bien en son absence que l'on mis le Père en terre. Le poids de sa peine, de sa solitude et de ses remords sont impossible à décrire ici.

Elle aurait bien décidé de ne jamais s'en remettre mais, un question la rongea nuits et jours : pourquoi ses Septs Fidèles Conseillers n'avaient pas anticipé le drame ? Il fallait qu'elle sache. Il fallait qu'elle comprenne. Était-elle responsables ? Désormais seule, loin d'un chez elle qui n'existait plus, elle commença à douter de tout et tous. Et, en premier, d'elle-même.

Après des mois de recherches, la vérité s'imposa : ses fidèles alliés avaient un jugement inversement proportionnel à l'affection qu'ils lui portaient. Et, ils s'étaient bel et bien fait manipulé par sa belle mère. C'était elle qui avait imposé l'idée de son départ en douce.
Il est des royaumes où l'on se doit de douter de tout. Des intruses horribles qui s'appellent Liberté.

Cindissadaye était entrée avec beaucoup trop de violence au Pays de l'Irrémédiable.
Et, il n'était plus question que l'on puisse la mêler aux histoires qui finissent ainsi :
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.

1 commentaire:

  1. J'adore le nom de la princesse ♥ Cindissadaye, ça sonne trop bien! Autre petite remarque que je me suis faite au cours de ma lecture, le conte aurait pris une autre dimension si il était conté par un habitant de ce pays, c'est une idée comme ça !

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...on en cause ?