01 juillet 2020

Un dernier vers


Image de l'extension "Origins"
du jeu DIXIT
de Jean-Louis Roubira
édité par Libellud
illustrée par Clément Lefèvre,
inspiration du jeu d'écriture DLP (Dixit Les Plumes)


SOMMAIRE :

• Poème de Madame Sèche
• Dialogue entre Mme Humide et Mme Sèche
• Aparté de Mme Sèche
• Aparté de Mme Humide
• Conclusion de la Rédaction


Je traîne une ombre
À qui rien ne sourit
Une enfant sombre
Qui partout me poursuit

C'est un miroir
Sur qui tombe la pluie
Sans trop y croire
Je voudrais qu'elle m'oublie

Des cheveux sales
À l'orage soumis
Ultime râle
Pour nos coeurs endurcis

Cette tristesse
Prétendue mon amie
Ne me professe
Que de vagues insomnies

Mortes les fêtes
Où les robes jolies
Voilent en cachette
L'angoisse dans leurs plis

Je me retourne
Oubliant ses non-dits
Âme où séjourne
Une peine infinie

– Je veux bien, qu'en ces temps troublés il n'y ait rien de tel qu'un bon gros seau d'Häagen-Dazs, qu'un kilo de Chamallow, mais là… Tu pousses !
– Trop de rimes te chagrines ?
– Sérieux, ton poème, merde, c'est de la guimauve plombée... Je peux pas mieux dire !
– C'est mon cadeau… Pour mettre un peu de joie dans ta vie tellement abîmée…
– Je vois… Madame tente la catharsis ?
– Tu ne vas quand même pas te complaire sous cette ignoble météo ?
– Tu dis ça parce que tu n'as jamais aimée la pluie !
– Je dis ça parce que tu tires une de ces tronches, plutôt…
– Je m'appelle pas Pluto !
– Ouiiii ! C'est très bien, ça, l'humour en temps de crise. Je ne saurais que trop t'encourager dans cette voie !
– "Que trop", t'es sûre ?
– Ah ! Tu me mets le doute ? C'était pour appuyer mon propos mais en y réfléchissant bien, on dirait que ça  l'inverse ? Que tu es drôle quand tu veux ! Alors, pourquoi cette tête d'enterrement sous la pluie ?
– C'est ta faute, ma belle !
– Te serais jalouse de mon soleil, de ma prévoyance ?
– Tu sais où tu peux te les mettre, ton soleil et ta prévoyance ? Et je t'épargne le parapluie !
– Ah ? On ne répond pas à une question par une autre question !
– Et pourquoi pas ?
– Ben, ça fait pas trop avancer le schimlli... le cschhimilli…Schimilimili...
– Je peux déjà te dire que ta ref de vieux, ça ne touche qu'une troupette mort-vivante, échouée ici par quelques requêtes abscondes ?
– Hum… Soit. Tu n'es pas jalouse. Alors, pourquoi refuser mon offrande ?
– Parce que j'ai vu ton regard !
– De tristesse et d'inquiétude ?
– Que tu dis… Ou que tu crois ?
– Attends, je sais ce que je dis. Et je peux te garantir que je sais que je ne dis jamais que ce que je crois.
– Mouais… T'es surtout désolée que je fasse tâche dans ton paysage imaginaire où tout devrait être maîtrisé. T'es même capable de pré-supposer que j'ai moi-même attirée cette pluie qui partout me suit ?

oooOooo

Ah ! Cruels emberlificotages ! J'ai bien peur qu'elle n'aies pas si tord… Je voudrais tellement qu'elle soit heureuse. Au moins autant que je le suis moi-même. Alors, oui, je lui en veux, de ne pas juste essayer de faire autant d'efforts que j'en fais, pour l'aider à se réaliser via un épanouissement personnel adéquat.
Et puis, c'est tellement simple, quand il va pleuvoir, de prévoir un parapluie. Pour être tranquille, de contracter toutes les assurances possibles. Pas né celui qui me verra prise au dépourvu. En plus, ce n'est vraiment pas très compliqué. Si moi j'y arrive… Du coup, je me sens en droit d'envisager qu'elle le fasse un peu exprès, de se mettre dans la merde, juste pour me pourrir la vie. Elle qui n'arrive à rien avec la sienne. Sinon, se perdre sous la pluie.

oooOooo

Mais quelle rapiasse… Je lui demandais juste son parapluie. Pas de me pondre une pendule, ni une litanie de vers obscurs, encore moins de me prendre pour la pâte à modeler du moindre de ses désirs. Elle ne se rend même pas compte que son regard de jugement fâché produit sur moi exactement l'effet inverse de ce qu'elle souhaiterait. Mais putain, qu'elle rendre au plus vite dans son petit confort de coffre-fort mensualisé. Moi, sur ce trottoir, sous cette pluie, j'ai au moins compris qu'ici, on ne fait que passer.

oooOooo

Au moins, elle t'as fait un poème. Ce n'est pas rien un poème.  Malgré sa maladresse affligeante et sa tonne de dénis, j'ai vu en elle une vraie sincérité. Et tu es assez maline pour savoir fouiller sous la surface des êtres, toi qui n'as comme fortune qu'un esprit affûté ? Reproche lui tout et son contraire, mais je t'en prie, accepte au moins ces quelques vers. Eux seuls ont ce pouvoir rare, de réussir à nous unir, sans rien imposer ni demander d'autre en échange qu'un peu d'attention. Nous qui avons tout essayé, par les guerres et les lois, que nous reste-t-il à la fin, sinon la châleur d'un dernier vers ?

4 commentaires:

  1. Voilà un texte qui sied bien à ma météo^^
    Je l’ai lu comme un court-métrage : grâce au texte, au sommaire et à l’image, mon cerveau a fait le reste de l’animation. La mise en page invitait à la mise en scène. Le dialogue aurait presque pu devenir un extrait de théâtre, ne manquait plus que les didascalies.
    J’avais l’impression que le ton de Madame Humide était plus sec que celui de Madame Sèche, un joli paradoxe vu le nom des personnages. J’apprécie.
    Sèche prendrait presque de haut Humide, jusqu’à la coiffure. Ce qui me marque c’est qu’elle n’utilise pas le mot pitié, car c’est bien l’impression qu’elle me faisait : celle d’avoir pitié de sa camarade. Cette dernière n’en veut pas – ce qui se comprend – et reste les pieds sur terre(eau).
    Cette histoire m’a beaucoup fait penser à la Cigale et la Fourmi. Un univers parallèle où la Cigale aurait mieux réussi sa vie et que la Fourmi se trouvait prise au dépourvu que la pluie fut venue.
    La Cigale chante, c’est donc ce qu’elle lui offre : des vers pour les oreilles et non pour l’estomac, et la Fourmi ne sait pas quoi en faire.
    L’autre point c’est qu’à la fin, je me suis demandé qui j’étais, un peu comme à l’école, lorsqu’on nous demandait si on était plutôt Cigale ou Fourmi.
    La Rédaction a déjà un peu tranché via sa conclusion, mais vous ? Qu’avez-vous au-dessus de la tête, Capitaine ? Le soleil ou une averse ?

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    1. C'est la tempête, moussaillon !
      Tous aux abris !
      Du coup, merci pour cette lecture attentive, un moment à chérir, une adresse à retenir, pour reprendre son souffle, se rappeler que l'on n'est pas qu'un cerveau ratatiné, qu'on a, un jour, bien su comment partager...

      Il y a une belle synchronicité entre ton commentaire et cette émission que je suis en train d'écouter :
      https://www.youtube.com/watch?v=wjh7ze4327g
      Les démons de Dostoïevski me semblent terriblement d'actualité.
      On dirait qu'il a réussi a traiter de tous les aspects de l'âme humaine, chaud !
      Notamment le rapport à la pitié et sa tension permanente entre hypocrisie et compassion.
      Aussi la place de l'art dans nos vies.

      J'ai bien aimé ton call-back de La Fontaine. C'est vrai que je l'avais en tête ! Mais j'ai dérivé en essayant de prendre autant de soin dans les deux avis, qui n'en fait pas une fable morale, je crois ?

      En tout cas, grand merci pour votre passage ! (hé ! Depuis quand on se vouvoie ?;-)

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    2. S’il y avait une morale, alors tous les problèmes seraient résolus par une unique lecture. D’ailleurs, ne sommes-nous pas cigale et fourmi, comme il neige parfois au Sahara ?

      On ne se vouvoie pas, je me suis simplement emportée à la tribune XD Ce qui peut être fun quand il (n’) est (pas) pris au sérieux ! Et qu’on n’est pas au Québec^^

      Je me jette sur le documentaire, j’ai un peu soif de réflexion en ce moment, donc double merci : pour le texte et la suggestion.

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  2. Oui ! C'est trop ça : je suis les deux... et bien d'autres !
    Bonne écoute, les acteurs qui lisent les extraits sont très bons, je trouve.

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...on en cause ?