24 juin 2020

Lilou contre-attaque !

Image de l'extension "Journey"
du jeu DIXIT
de Jean-Louis Roubira
édité par Libellud
illustrée par Xavier Collette et Coliandre,
inspiration du jeu d'écriture DLP (Dixit Les Plumes)  



Moi, c'est Lilou. Et je voudrais bien pouvoir continuer mon livre tranquille. Mais celle-ci n'arrête pas de me parler. Déjà, j'ai pas fait la difficile quand elle m'a servi mon repas. Mais non, ça ne lui suffit pas, on dirait. Elle semble décidée à faire de moi sa "meilleure amie pour la vie". Je suis choquée… Je la connais pas. Heureusement, j'ai plus d'un tour dans mon sac. Les adultes, je gère !

– Dis-moi, petite Lilou, qui te protège, la nuit du loup ?
– Et toi ?
– Moi, tu sais, je suis grande. Je peux bien me protéger toute seule.
– Tu n'es pas plus grande que toi, quand même ?
– Heu… Tu es drôle !
– Et quand tu regardes devant toi, comment verrais-tu ton derrière ?
– Mais dis-donc !
– Et quand tu regardes à l'intérieur, verras-tu ce qui vient de l'extérieur ?
– Je…
– Et quand tu dors, il fait nuit noire, où que tu sois.
– Cette gamine en a fumé de la bonne...
– Y a-t-il quelqu'un qui s'occupe de l'autre côté de toi ?
– Je la voyais plus tranquille, cette soirée babysitting…

C'est trop facile de les calmer, ces gardiennes de soirée. On dirait que leurs études ne leur apprennent rien. Mon étudiante est repartie dans le salon en soupirant. Sûrement pour s'avachir devant une série stéréotypée. Elle prendrait une poignée de cachets, ça reviendrait au même. Elle finira comme les autres, fantômette blafarde, emmitouflée dans son confort de certitudes. Et ce n'est pas la pire que j'ai eu. Elle au moins est restée polie… Malheureusement pour elle, j'ai mon grimoire qui m'appelle, un univers à explorer, à la lumière de ses trésors insoupçonnés. Pas question de perdre mon temps à socialiser avec une inconnue, d'autant plus qu'elle n'a pas l'air d'avoir grande conversation.

À sa décharge, comment aurait-elle pu lutter contre cet ouvrage ? Maman dit qu'il est magique et que si je suis capable d'en lire sagement une pages ou deux, j'en découvrirais ses inimaginables secrets . Moi, l'imagination, c'est pas ce qui me manque. J'ai bien été obligée de la cultiver, pour mettre un peu de vie dans ces longues heures passées seules. J'ai beau être ravie que mes parents s'éclatent au boulot, ça n'a pas contribué à les rendre très présents. Au moins, ils n'essaient plus de me placer dans cet affreux centre aéré perdu en banlieue. Quel bagne horrible ! C'était comme l'école mais en beaucoup plus bondé, bruyant et sans le calme temporaire d'une salle de classe studieuse. Sans parler de l'insalubrité des toilettes ! C'est soit ce machin-truc à la Turc, soit la forêt, où les gamins s'y cachent des monos pour revenir à un état franchement sauvage...

Heureusement, depuis ma dernière crise d'angoisse, mes géniteurs délèguent en local. Je peux rester chez moi, et soupirer de soulagement.  Ouf ! J'aurais une phobie de la promiscuité, d'après le Docteur Galois. C'est vrai que j'ai des frissons de vertige, simplement en y repensant. Calme-toi, Lilou ! Tu es tranquillement allongée sur ton tapis, dans ta pièce préférée. Et rien du monde extérieur ne pourrait venir t'en déloger. J'y ai passé tellement de temps, dans cette chambre, que j'en connais tous les recoins. J'aime bien m'y déplacer, yeux fermés, toutes lumières éteintes. Tâter du bout du gros orteil le rebord du tapis, le suivre jusqu'à mon lit. M'y étendre dans le noir et là, tendre le bras et tomber pile sur l'interrupteur de ma lampe. Un de mes nombreux super-pouvoirs !

Finalement, le seul moment où je ne pourrais pas me passer de lumière, c'est pour lire. Et là, j'ai du lourd ! Tout en étant bien consciente qu'il y ait de fortes chances pour que Maman m'ait malicieusement survendu son bouquin. Mais je sais d'expérience que toute promesse est déjà un voyage. Si elle savait à quel point elle a eu raison de me faire ce joli mensonge ! De toutes façon, je préfère qu'elle me prenne pour une cruche. Tant pis pour l'égo, j'y gagne aussi en liberté d'action. Toujours un coup d'avance, la petite Lilou !

– Allo ? Oui, Denis... Je bosse là... Tu le sais, non ?
– C'est vrai, Sarah, maintenant que j'y pense. Tu m'avais effectivement dit que tu gardais la petite Lilou Tremblay. J'avais zappé.
– T'avais rien zappé du tout, gros malin. Je te connais… Accouche, t'as besoin de quoi ?
– Hé ! Cool. Non, c'était juste pour causer. Tu me manques... T'es habillée comment ?
– À d'accord ! J'imagine que tu tiens ton téléphone que d'une main, toi ?
– Hi hi ! C'est vrai que tu me connais bien ! Alors, t'as mis ta petite robe légère ou ton jean à trous bien placés ?
– Denis, sérieux, t'abuses… La gamine est à quelques pièces de là. Je peux pas me permettre de le perdre, ce taf.
– Allez. T'as bien écrasé une des pilules que je t'ai filées dans son verre ?
– Yep ! D'ailleurs, j'en ai peut-être trop mis. T'aurais vu ses questions, avant de filer dans sa chambre…
– On s'en tape. Elle sera remise à temps pour quand ses vieux seront rentrés. Et nous, on est tranquilles pour un bon petit sexcall !
– Tu mériterais que je te fasse payer !
– Arrête, t'aime trop ça. Remarque, autant que la thune, j'avoue !
– À ce propos, tu verrais comment ils sont blindés, les Tremblay… Ça me donne une idée, vu que tu sembles dispo actuellement.
– Non, on va pas refaire le coup de l'enlèvement. Please… La dernière fois, c'était trop chaud, on a bien foiré le truc, rien gagné et passé à ça de se faire chopper…
– Oui, ben désolé mais c'est en se loupant qu'on apprend.
– Bref… Mais on se finit d'abord, hein !
– Rien du tout. Sois autonome, merde ! Ça me donnera le temps de réfléchir à un plan. Ça m'aide pas quand tu passes ton temps à gémir dans mon oreille.
– Hummmmmm !
– Perv ! Bon, je vais redonner de la potion magique à la petite peste et voir si elle est calme.

Sarah avait confiance, pour une fois. Et le passage de la station avachie sur le canap' à celle de chasseuse sur ses deux pattes, elle le sentait, lui envoyait plein d'énergie. De quoi produire le plan parfait. C'était comme si son cerveau se mettait en mode turbo. Sa fluidité motrice semblait se distiller par capillarité dans le flux de ses pensées. Au bout du couloir, elle apercevait un fin rayon de lumière sous la porte de la chambre de Lilou. Elle commencerait par l'engueuler pour la rendre plus docile. Puis l'obligerait à s'enfiler un autre cacheton. En espérant que le coeur de la petite tienne… Mais quelle entreprise prometteuse ne comporte pas sa part de risques ?

Plus elle s'approchait de la porte, plus le fin trait de lumière semblait rayonner. L'obscurité du couloir devait avoir perturbé l'appareil optique de Sarah. Car elle semblait y déceler de légers reflets bleutés. Peut-être que la gamine s'était organisé une soirée perso ? Ce petit démon était bien capable d'imaginer n'importe quoi pour lui ruiner sa soirée. Un sourire rancunier la rassura ; cette petite peste n'aurait que ce qu'elle mérite. Une fillette incapable de vivre en société, à quoi d'autre pouvait-elle s'attendre ? Si le monde était peuplé de gens bienveillants, patients et disponibles, ça se saurait ! Non, partout, c'est la guerre, des ouragans de violences prêt à surgir de n'importe qui, surtout si l'on est à bout de nerfs… Comme Sarah l'était.

En prenant la poignée de porte en main, elle sentit que sa vie allait enfin changer. Comme un léger souffle de vent  passait sous la porte, comme pour accompagner la lumière qui était de plus en plus bleutée. Sarah eu une drôle d'impression. Elle ne savait plus trop si l'ouragan, c'était elle, ou si il se trouvait embusqué à l'attendre derrière cette porte ?
Malgré ses précautions pour ouvrir, un grincement désagréable sortit des gonds. Il y avait quelque chose qui semblait résister ?

– Lilou ! Tu ouvres de suite ! Arrête ces bêtises ou ça va mal finir !

L'intimidation était vaine. La porte ne s'entrouvrit que de quelques centimètres. Mais c'était suffisant pour apercevoir Lilou allongée sur son tapis. Comment était-ce possible ? Et son tapis... Non mais Sarah rêvait ou quoi ? Il semblait flotter comme en apesanteur sur un coussin d'air invisible ! Elle poussa de toutes ses forces. La porte céda. L'entraînant dans l'élan pour finir par terre. Un peu sonnée, elle se retourna pour voir ce qui avait bien pu la bloquer ? Une grosse forme bleu, flottant elle aussi. Ça ne ressemblait à rien de connu ? Une sorte de génie de contes pour enfants. Cette aberration semblait même lui sourire ? Sarah sentit ses forces la quitter. Sa raison refusait d'en voir plus. Elle ne se relèverait pas de cette chute et sombra, inconsciente.

– Lilou, mais c'est pas possible… Cette fois-ci tu as vraiment dépassé les bornes ?
– Mais c'est elle, la méchante !
– Tu sais, ici, souvent seuls les méchants gagnent. Et en les battant, on ne fait malheureusement que prendre leur place.
– J'ai rien fait !
– Tu as quand même inversé ton verre avec celui de Sarah !
– Elle avait mis du poison dedans…
– Ne dit pas de bêtises. Et comment l'aurais-tu su ?
– C'est mon génie qui me la dit !





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